Le fantôme des Cordeliers
David Gauthier, Journal Sud Ouest
Seul
un pan de mur se dresse encore rue Jean-Jacques-Rousseau, vestige du couvent
des Cordeliers dont la première pierre fût posée en 1287.
Les
Cordeliers, moines suivant la règle de Saint François d'Assise, logeaient dans
cette église avant d'en être chassés à la Révolution Française. L'endroit était
très apprécié des Libournais. Il établissait la jonction entre le religieux et
le politique, le profane et le sacré. « Jusqu'à la construction de la Maison de
ville (ancêtre de l'hôtel de ville, ndlr), c'est ici qu'étaient gérées les
affaires de la bastide, explique Camille Desveaux, historienne spécialisée dans
la période médiévale. On y élisait notamment les douze jurats, les conseilleurs
municipaux de l'époque ».
Connexion
entre ciel et terre
Il
faut s'imaginer, à partir des quelques pierres qui ont traversé le temps,
l'immense chapelle qui s'érigeait ici. Libourne avait été construite selon un
plan romain, en damier. Un quadrillage précis, en 42 « îlots », chaque îlot
comprenant des places constructibles. « Le cloitre couvrait à lui seul l'un des
plus grands îlots, s'extasie l'historienne. Il mesurait une cinquantaine de
mètres de long et quinze mètres de large ». Les villageois du Moyen âge
chérissaient cette église. Les généreux donateurs, commerçants et gens de mer,
assistaient chaque jeudi à la célébration d'une messe.
Au
centre de la cloison de pierres, deux visages angéliques encadrent une fenêtre
en bois. « Ils ont une telle sérénité. Ils symbolisent la connexion entre le
ciel et la terre. Cela reflète l'atmosphère de l'endroit. » L'enchantement ne
dure pas. Camille Desveaux se désole face à l'état de conservation de ces décombres.
« Il faut redonner vie à ce bâtiment, plaide-t-elle, pour mettre en valeur le
patrimoine de la ville ». Elle imagine la création d'un espace muséal, ou
touristique.
Le
silence de Princeteau
Une
rue plus loin, l'historienne stoppe sa marche au centre de la place René
Princeteau. « Le jardin du cloître était là, annonce-t-elle solennellement. Les
donateurs, qui permettaient l'entretien du convent, pouvaient aller et venir
selon leur gré ».
Cet
endroit est une ouverture vers un autre pan de l'histoire de la bastide : le
second âge d'or de Libourne, au début du XIXe siècle. « La place est unique par
sa forme à douze côtés. Les bâtiments, tout autour, sont cassés en trois »,
pointe-t-elle du doigt.
Une
gravure, sur l'autel au centre de la place, représente le peintre
René-Pierre-Charles Princeteau (né à Libourne en 1843). « Il est mort il y a
tout juste cent ans, au début de la première guerre mondiale, souligne Camille.
Un artiste libournais mondialement connu, ce n'est pas banal quand même ! ».
Le
peintre animalier, sourd et muet de naissance, côtoya Alphonse de
Toulouse-Lautrec, fut l'un des maîtres de son fils Henri et connut la notoriété
à Paris, qu'il quitta en 1883 pour le Libournais. Il finit ses jours à Fronsac.
Il partage avec les Cordeliers un morceau du patrimoine de Libourne, qui
affleure parfois dans les rues de la bastide pour celui qui sait où regarder.