L'église Saint-Jean fait ses Pâques !
En ce mois d'avril 2015, vous allez pouvoir contempler les magnifiques cloches de l'église Saint Jean-Baptiste de Libourne qui vont être déposées dans l'église pour la restauration du système campanaire.
C'est l'occasion pour vous de découvrir l'histoire de ces oeuvres centenaires et c'est l'occasion pour moi de vous raconter l'arrivée des chevaliers de l'Ordre de Saint Jean-Baptiste (aujourd'hui Ordre de Malte) dans notre région, à Lalande de Pomerol, Pomerol et Libourne...
Les Hospitaliers de Saint-Jean de
Jérusalem à Lalande de Pomerol
A partir de l’An mil, La reconquête des Lieux
Saints, en Europe et en Orient, donna lieu à la création de nombreuses villes
et villages qui s’égrenèrent le long des anciennes voies romaines devenues
voies de pèlerinage. La Reconquista Espagnole, la Première Croisade, la
fondation des ordres hospitaliers et templiers… réveillèrent la foi des
chrétiens et offrirent un nouvel élan à la production du vin, symbole
christique par excellence.
C’est à cette époque que naquit le village de
Lalande de Pomerol, près de Libourne, et sa commanderie hospitalière sur la voie de pèlerinage
reliant Tours à Belin-Beliet.
- L’arrivée des Hospitaliers de Saint-Jean de
Jérusalem dans le midi de la France
Vers la fin du XIème siècle, un religieux du nom
de frère Gérard, originaire, selon les sources, de la région d’Amalfi en
Italie, avait rejoint la Ville Sainte pour aider les chrétiens, à reconstruire l’église du Saint Sépulcre rasée par
un Calife fatimide au début de l’An mil. Face à la détresse des pèlerins de la
première croisade et des marchands arrivant à Jérusalem éreintés et souvent
malmenés, frère Gérard décida de fonder un hôpital sous la protection de Saint
Jean-Baptiste afin de leur venir en aide et de les soulager. Plusieurs frères,
gagnés par sa foi, décidèrent de le suivre et devinrent les premiers
Hospitaliers de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem qu’il fonda autour de l’an
1100 (l’Ordre fut approuvé le 15 février 1113 par le pape Pascal II). Rentré en
France, frère Gérard prit conscience de la nécessité de l’Ordre de se ramifier
en autant d’hôpitaux et de commanderies afin d’accueillir les pèlerins toujours
plus nombreux et de les accompagner lors de leurs périlleux voyages vers les
Lieux Saints. On distinguait déjà les frères qui demeuraient à résidence pour
prier, travailler, administrer les domaines et accueillir les voyageurs, des
frères chevaliers qui participaient aux croisades. Vers 1105, il créa les Grands
Prieurés de Saint-Gilles et Toulouse, maisons mères de toutes les ramifications
de Gascogne et du midi de la France. Rapidement l’Ordre se trouva à la tête
d’un immense territoire et acquit des richesses considérables grâce aux
largesses de nombreux donateurs désireux de participer au salut de leur âme en
échange de messes à leur intention ou à l’intention de leur famille.
Tous les frères étaient des
religieux, même les frères chevaliers, liés par les trois vœux monastiques de
Pauvreté, de Chasteté et d’Obéissance, ils adoptèrent comme insigne la croix
amalfitaine à huit pointes qui en plus de les lier à leurs origines symbolisait
les béatitudes de la foi. Leurs manteaux étaient noirs, l’étendard rouge, et la
croix toujours blanche.
- La commanderie de Lalande de Pomerol
Les noms de Poumeyrol et de Lalande
de Poumeyrol apparaissent dans un cartulaire attestant la donation de terres
aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au XIIème siècle
Selon les recherches étymologiques
de l’historien régional J.A. Garde, la plus ancienne forme latine rencontrée
dans un texte de 1327 est Pomeriolis
dont la racine poma veut dire fruit à
pépins et plus spécialement raisin, comme l’atteste l’empereur Justinien dans
son recueil méthodique des Pandectes.
D’autres villes françaises à vocation viticole portent ce nom à l’instar de la
commune de Pomérols dans l’Héraut. Cette découverte étymologique réfute l’idée
première des chercheurs qui pensaient que poma
voulait dire pomme et corrobore la thèse d’un vignoble condatais et pomerolais
à l’époque d’Ausone.
Dans ce cartulaire du XIIème
siècle, appartenant au fonds des Archives Départementales de la Haute-Garonne,
on découvre l’établissement des chevaliers de l’Ordre des Hospitaliers de
Saint-Jean de Jérusalem dans la Châtellenie de Puynormand. On y apprend que les
chevaliers Aychard et Bernard de Seilles donnèrent leurs terres situées entre
Brettes et le ruisseau de Comparras, aux chanoines de Saint-Etienne du Peyrat
puis aux Hospitaliers, Adhémar et Ayquelin de Gesta.
Cette donation, dit le cartulaire,
eut lieu du temps du Prieur Gérard (fondateur de l’Ordre des Hospitaliers en
1113), ce qui permet de dater l’arrivée des chevaliers vers la fin du XIème
siècle et le début du XIIème siècle sur le territoire de Lalande de Pomerol. Le
vicomte de Castillon approuva et confirma cette donation.
Adhémar administra ces domaines
pendant quarante ans et en donna une partie à des cultivateurs, moyennant
certaines redevances. Adhémar était l’administrateur du grand Prieuré de
Bordeaux qui se situait près de l’ancien Pont-Neuf, près de la rue de
l’Ombrière détruite lors de la percée du Cours Alsace-Lorraine. Une étude
effectuée par l’historien Eric Murat, mentionne Adhémar comme premier
commandeur de l’Hôpital de Bordeaux de 1100 à 1140. C’est sous son impulsion,
semble-t-il, que l’église principale de Libourne prit le nom de Saint Jean-Baptiste,
comme de nombreuses églises dans la région (Lalande, Pomerol, Cadarsac,
Libourne, etc.). Les Hospitaliers de Lalande de Pomerol possédaient de nombreux
biens à Libourne dans lesquels ils se réfugiaient à chaque attaque de leur
commanderie lors des périodes de troubles. Ils étaient aussi influents que
respéctés.
A Lalande de Poumeyrol, nombreux
furent les seigneurs locaux qui, « au nom des Saints Evangiles et pour le
salut de leur âme », distribuèrent des terres et des largesses financières
aux Hospitaliers. On compte Raymond et Pierre d'Abzac, Pons de Montaigne, W. de
Segur, le seigneur Ayz de Puynormand, Pierre de Saint-Seurin, W. Arnaud de
Seilles et dame Orgolose, sa femme, W. de Montrebet, damoiseau, fils d'Arnaud
Faidit, chevalier de Fronzac…
La commanderie, nouvellement créée
grâce à l’implantation des Hospitaliers, appartenait à la Vicomté de Castillon,
ancien archiprêtré d’Entre-Dordogne. Selon l’historien J.A. Garde,
« l’Entre-Dordogne fut d’abord une subdivision civile remontant à l’époque gallo-romaine, puis une
subdivision religieuse à l’avènement du Christianisme ».
Les archiprêtrés existaient vraisemblablement dès le IVème Siècle puisque la
ville de Burdigala était déjà dotée d’un archevêque. En fait, cette subdivision
religieuse correspondait exactement aux oppida
ou castra de la Gaule. Par la suite,
l’archiprêtré d’Entre-Dordogne, devint la Vicomté de Castillon, conservant
exactement les mêmes limites. Le Vicomte de Castillon exerçait au XIIème siècle
son autorité sur l’ensemble du territoire de l’Entre-Dordogne, comme
l’attestent les cartulaires de la fondation de l’Hôpital de Lalande de Pomerol
et de la fondation de l’abbaye de Faise à Lussac.
La vicomté de Castillon comprenait
donc deux subdivisions :
- l’immense châtellenie de
Puynormand, au nord du ruisseau de la Barbanne
- la châtellenie de Condat et Barbanne,
au sud de la Barbanne.
- Les églises hospitalières de Lalande de Pomerol et de Pomerol
La paroisse de Lalande de Pomerol
fut érigée en commanderie hospitalière en même temps que celle de Pomerol.
L’église et l’hôpital étaient les deux points forts des commanderies et
servirent d’ossature aux communes naissantes. Les églises de Lalande de Pomerol
et de Pomerol, de type roman, possédaient la même architecture que toutes les
églises hospitalières dont le corps principal était formé par un quadrilatère.
« Les seuls ordres qui aient,
dans nos pays, bâti suivant une formule originale leurs églises conventuelles
sont les Hospitaliers et les Templiers. Ces églises là se reconnaissent à
première vue : ce sont des édifices rectangulaires à chevet plat percé de
trois fenêtres, à contreforts de faible saillie. La nef unique est tantôt
couverte d’une charpente, tantôt d’un berceau sur doubleaux, qui, eux-mêmes,
retombent sur des colonnes engagées ; l’appareil est soigné ; à
l’extérieur, les murs de flanc portent à mi hauteur une série de corbeaux qui
recevaient la poutre faîtière du toit en appentis de logis. »
L’église de Lalande de Pomerol
possède les mêmes caractéristiques. Nous pouvons la décrire aujourd’hui telle
qu’elle est encore, car c’est l’unique vestige des églises hospitalières dans
la région.
Elle est, en ce sens, un monument
unique en Gironde qui requiert une immense vigilance tant sur le plan
architectural que sur les plans historiques et patrimoniaux.
A l’intérieur, les chapiteaux,
communs aux églises hospitalières sont portés par des colonnes engagées, mais
exceptionnellement le mur du chevet possède cinq fenêtres : deux grandes
en haut en et trois plus étroites en dessous.
« La façade, nous dit l’historien J.A. Garde,
est disposée en trois étages. La porte est formée de quatre arcades en retrait
et la voussure interne polylobée présente d’élégants fleurons ; elle est
flanquée de deux autres portes borgnes. Au deuxième étage on trouve une fenêtre
agrandie au XIXème siècle et deux fenêtres feintes posées sur un tablier en
saillie que portent des corbeaux sculptés de masques humains et de figures
d’animaux. Toutes les archivoltes sont à dents de scie. »
Ces églises faisaient partie
intégrante de la commanderie à laquelle elles appartenaient. A Pomerol, elle
s’élevait sur le point culminant de la paroisse à quelques pas de la route
reliant Saint-Emilion à Guîtres. L’hôpital, quant à lui, se situait à deux
kilomètres en contrebas près de la paroisse de Saint-Emilion au croisement de
deux grands axes de communication : la route Guîtres-Saint-Emilion et
l’ancienne grande route Libourne-Périgueux.
Cette dernière, jusqu’à la construction de la route que l’on connaît
aujourd’hui en 1749, sortait de la toute nouvelle bastide de Libourne par la
porte de Périgueux (ou porte de la Terre) aujourd’hui entrée de la rue
Gambetta, empruntait l’ancienne rue des Moulins ou cours de la Marne, passait à
Catusseau et se dirigeait sur Montagne par la croix de Montagne.
De nombreuses croix hospitalières
balisaient le chemin et servaient de repères aux pèlerins.
A Lalande de Pomerol, les limites
de la paroisse étaient, elles aussi, délimitées par des croix
hospitalières. L’hôpital s’érigeait sur
la route reliant Guîtres à Saint-Emilion, à plusieurs kilomètres en amont de
l’hôpital de Pomerol.
Cette route entre Guîtres et
Saint-Emilion est encore aujourd’hui nommée route de Saint-Jacques de
Compostelle. Elle était autrefois une voie parallèle de la « Via
Turonensis », reliant Paris et Tours à Saint-Jacques de Compostelle. Les
hôpitaux de Lalande de Pomerol et de Pomerol mais aussi celui de Libourne
(l’Hôpital Saint-James qui se situait en lieu et place de l’actuel Temple
protestant place de la Croix Rouge), étaient des haltes privilégiées pour les pèlerins ou jacquets.
Camille Desveaux
Cl. photographiques Internet