mardi 6 juin 2017

Les trois nefs de l'Hôtel de Ville de Libourne




Les trois grands Vaisseaux de l'Hôtel de Ville de Libourne




Les trois imposantes maquettes de navires qui ornent les angles muraux de la salle des Mariages de la Mairie de Libourne sont les derniers vestiges de l’histoire du port de la ville dont le trafic débuta dès l’Antiquité. 
Ces maquettes représentent à elles seules l’importance et la prospérité que connut le port au Moyen-Age mais surtout au XVIIIème siècle.




Le port de Libourne, siège de l’Amirauté

C’est en 1728 que le négoce libournais conquit sa véritable indépendance par rapport à Bordeaux grâce à l’installation d’un greffe de l’Amirauté de Guyenne dans la bastide. Désormais plus besoin de passer par l’Amirauté de Bordeaux pour les déclarations de chargements et de déchargements de fret, pour toutes les tracasseries administratives qui gênaient autant qu’elles freinaient les capitaines et leurs bateaux.
Avant cette date importante pour le port de Libourne, c’est la Jurade (la municipalité : le maire et les jurats) qui possédait toute autorité sur les droits maritimes, privilèges et autres exemptions. Elle avait le contrôle complet du port et le réglementait en tout, aussi bien, par exemple, pour la nomination des sacquiers chargés de l’embarquement et du débarquement des marchandises, que pour toute autre opération. Cela engendrait souvent de grandes dissensions avec les marins. L’installation de l’Amirauté à Libourne fut un immense soulagement pour les marins et les gens de mer.




Le Port de Libourne au XIXème siècle, Archives Municipales 




D’autant que l’activité portuaire connaissait une grande opulence grâce à l’expansion du vignoble libournais et l’avènement de la qualité de ses vins. Libourne exportait du vin dans tous les ports de la façade atlantique du royaume, au nord de la Gironde. Le trafic était excédentaire pour la ville qui en contrepartie importait des blés (froment, seigle) bretons mais surtout du sel des îles charentaises destiné au haut-pays. La haut-pays libournais, à l’arrière du confluent de l’Isle et de la Dordogne, fournissait quant à lui, depuis les temps les plus anciens, des vins, du bois, des noix du Périgord, du blé…


Libourne, port de commerce colonial

En 1756, Libourne obtint, comme le port de Bordeaux, l’avantageux privilège de faire directement commerce avec les îles et colonies françaises d’Amérique. En effet Libourne était elle aussi un point d’aboutissement maritime qui avait l’avantage de communiquer directement, par l’Isle et la Dordogne, avec le haut-pays et conférait les mêmes dispositions géographiques et stratégiques que le port de la Lune à Bordeaux.

Ce fut le début d’un siècle de prospérité dont témoignent les grands modèles de navire de la salle des Mariages.


Le Port de Libourne, tableau de l'Hôtel de Ville


        Dès le milieu du XVIIIème siècle, Libourne participa au commerce avec les colonies : ce fut un énorme succès qui retentit sur la ville et ses habitants ainsi que dans tout l’arrière-pays.

Déjà les hollandais avaient participé à la prospérité du port de Libourne en s’installant dans la région au début du XVIIIème siècle. Ils achetaient de grandes quantités de vin blanc sec liquoreux de Sainte Foy la Grande, Bergerac ou Domme, pour la distillation de l’eau de vie dans laquelle ils étaient passés maîtres. Le commerce avec Libourne représentait 30% du commerce hollandais ! Chaque année 80 à 100 bateaux venus de Hollande chargeaient près de 8000 tonneaux de vin de Bergerac ou Sainte Foy dans le port de Libourne.

Ces chiffres considérables s’accrurent encore avec le privilège libournais de commercer directement avec les îles coloniales françaises.

Dans la lettre de demande des jurats libournais pour obtenir ce privilège (Archives de Libourne), on apprend que, outre la venue à Libourne de grands navires de Hollande, de Danemark et de Suède,  le port de Libourne possédait d’immenses chantiers dont les constructeurs de vaisseaux étaient de véritables experts et dans lesquels on construisait des frégates royales.

Le Port de Libourne au XVIIIème siècle connut une prospérité sans précédant qui se répercuta de plein fouet sur l’économie de la ville. Cet âge d’or fut le point de départ d’un négoce considérable qui transforma Libourne en véritable empire sur la Dordogne et sur l’Isle. Devenue grenier à sel par un privilège accordé par le Prince Noir en 1341, elle était la seule ville à pouvoir stocker la précieuse denrée (devant la porte des Salinières, quai des Salinières). Déjà, elle était déjà la seule ville à avoir le droit d’écouler son vin en premier grâce à un privilège octroyé en 1189 par Aliénor d’Aquitaine.
Libourne s’était aussi démarquée au XVIIème siècle par le commerce des tuiles pour répondre à un important besoin sur les îles et les côtes charentaises. On a retrouvé des contrats de plusieurs milliers de tuiles chacun passés avec des tuiliers libournais.

Mais les cargaisons les plus improbables de cette époque furent certainement les canons et les bombes à destination de Rochefort possédant la précision : « Pour le Roy ». Elles confirment à elles-seules l’importance que revêtait le port de Libourne au XVIIème siècle. Ces canons et ces bombes provenaient des forges du Périgord et du haut-pays dont l’excellente qualité de fer et de fonte était réputée. Ils descendaient la rivière sur des couraus et étaient stockés au Nord de la ville sur le terrain du Fourat. Ce terrain se situait derrière la Tour Grenouillère à l’angle Nord des murailles de la ville. C’était ce même terrain qui servait de dépôt de sable  (lest) apporté par les navires hollandais. Au XVIIIème siècle, sur la partie la plus élevée furent construites une faïencerie et une verrerie alors qu’à la place du dépôt de canons, un abattoir fut édifié en 1835 puis remplacé par le Centre des Impôts actuel. Le Fourat était aussi appelé le champ d’épreuves car on y essayait les canons avant de les embarquer. En 1758 on en dénombra plus de 120 entreposés au Fourat portant tous la mention « Pour le Roy à Rochefort ».



Armement d'une frégate à Brest, Louis Nicolas Van Blarenberghe (1716,1794)



Un autre commerce important concernait le bois qui provenait des forêts du haut-pays et dont d’impressionnantes quantités étaient expédiées vers la Rochelle et les îles charentaises qui en étaient démunies.

L’augmentation du trafic du port de Libourne fit s’accroître rapidement le nombre des marins libournais qui s’installèrent près du port avec leurs familles. La rue Lamothe à elle-seule en comptait près d’une vingtaine, tout comme la rue des Murs, la rue Neuve ou le quartier des Fontaines.



Les maquettes de la salle des Mariages

Les grandes nefs de la salle des Mariages font honneur à la réputation que connut le port de Libourne au XVIIIème siècle. Si l’on n’en connaît pas précisément l’origine (nom de leur(s) créateur(s)), l’on sait que ces modèles réduits étaient très fréquents aux XVIIIème et XIXème siècle. On en trouve de semblables au Musée d’Aquitaine ou au Conservatoire de l’Estuaire pour ne citer qu’eux.

Ces maquettes avaient deux fonctions principales : représenter les principaux navires de la marine française ou étrangère, fidèles modèles miniatures de la flotte royale ou bien servir d’ex-voto, c’est à dire d’objet de remerciement après l’exaucement d’un vœu. C’est pourquoi on en trouve dans de nombreuses églises du littoral ou le long des fleuves, notamment dans les grands sanctuaires marials (dédiés à la Vierge Marie) situés tout le long de la Dordogne : Soulac, Condat, Rocamadour…
Les marins vouaient une dévotion particulière à la Vierge Marie, qu’ils considéraient comme la protectrice des fleuves et de la mer.

En ce temps là, et encore de nos jours, les marins étaient entièrement tributaires des conditions climatiques, mais leurs bateaux ne possédaient pas les mêmes caractéristiques que ceux d’aujourd’hui. Beaucoup moins sûrs, ils risquaient souvent de sombrer lors de tempêtes. Aussi le sauvetage d’un naufrage était-il considéré comme une grâce divine et des ex-voto étaient-ils offerts à la Vierge Marie en guise de remerciements pour sa divine protection.


Ex-voto de bateau
Chapelle miraculeuse de Rocamadour


« La Couronne »

La Couronne est un navire de guerre français portant 72 canons sur deux ponts construit à l’initiative du Duc de Richelieu qui souhaitait offrir à Louis XIII une véritable marine de guerre.
Mise en chantier en 1634 à la Roche-Bernard en Bretagne, au fond de l’embouchure de la Vilaine, La Couronne fut lancée en 1637.
En 1638, elle participa à la guerre de Trente Ans sous les ordres de l’amiral de Sourdis (le frère du Cardinal François de Sourdis) qui était aussi archevêque de Bordeaux. Nommé lieutenant général en considération de ses qualités de navigateur, Henri d’Escoubleau de Sourdis s’illustra contre les Espagnols par les victoires de Guétaria et de Laredo.



La Couronne (Archives Wikipédia)


Avec ces 500 hommes d’équipage et sa capacité de 2000 tonneaux, La Couronne est l’un des premiers vaisseaux construits en France. Grâce à 20 autres navires commandés par l’archevêque de Bordeaux, elle remporta la victoire sur l’escadre espagnole en 1638.
Cette victoire participa à la gloire de l’Amirauté Française à laquelle appartenait Libourne.


« Le Galion de Francis Drake, le Golden Hind »


Francis Drake, protégé de la reine Elisabeth Ière d’Angleterre, commanda plusieurs grands galions britanniques au XVIème siècle. La notice indicative attenante à la maquette ne donne aucun renseignement précis sur le bateau en lui même, mais plutôt sur le talent du célèbre capitaine qui vainquit l’Invincible Armada, cette flotte espagnole aussi puissante qu’impressionnante, en 1588. La maquette ressemble beaucoup au Golden Hind, le fameux galion connu pour son périple autour du globe entre 1577 et 1580.




Le Golden Hind (Revell 1/96)


Francis Drake (Wikipédia)
Francis Drake avait commencé la navigation très jeune en démarrant comme apprenti auprès d’un maître de barque utilisée pour le cabotage et le commerce à destination de la France et de la Hollande ; Peut-être est-ce à cette époque (il avait environ treize ans) qu’il découvrit la région de Bordeaux et Libourne. A la mort du capitaine, Drake hérita du bateau, à tout juste 20 ans. Trois ans plus tard, il effectua son premier voyage aux Amériques sur la flotte de John Hawkins, son cousin germain. En 1572, il attaqua, la Tierra Firme plus connue sous le nom d’Isthme de Panama où les espagnols entreposaient l’or et l’argent pillés au Pérou. Grâce à ses succès la reine Elisabeth Ière lui demanda, après l’avoir doté de lettres de marque, de monter une expédition contre les établissements espagnols situés sur la côte pacifique de l’Amérique du Sud. En 1577, à bord du Pélican (le futur Golden Hind), il traversa à nouveau l’Atlantique accompagné de quatre navires. Arrivé à Valparaiso, il mit à sac le port dans lequel se trouvait amarré le navire espagnol  « Grand Captain » rempli d’or péruvien pour un montant de près de 37 000 ducats (7000 livres environ). C’est à ce moment là qu’il renomma son navire le Golden Hind. Après avoir débarqué en Californie, traversé le Pacifique et contourné l’Afrique, le Golden Hind atteint Plymouth le 26 septembre 1580 avec 59 survivants à bord. Drake devint le premier capitaine à avoir totalement accompli le tour du monde.
La reine l’adouba le 4 avril 1581 à bord même du Golden Hind et lui attribua ses propres armoiries. La même année Drake devint maire de Plymouth.
Quand la guerre éclata entre l’Espagne et l’Angleterre, en 1584, il reprit la mer pour défendre son pays et repousser la tentative d’invasion de l’armada espagnole, qu’il défit le 31 juillet 1588. Ce succès lui valut le rang de vice admiral.

Pour les libournais, il est intéressant de noter qu’en l’an 1297 (trois siècles plus tôt), c’est le fils de Roger de Leyburn, fondateur de la bastide de Libourne, qui fut nommé par le roi Edouard Ier : Admiral of the sea of the Kinf of England» (amiral de la mer du roi d’Angleterre) : le premier titre d’amiral de l’histoire de l’Angleterre !


« Le Léopard »

A l’instar de La Couronne, Le Léopard est un navire de guerre français.  Portant 74 canons sur deux ponts, il fut construit en 1787 sur l’ordre de Louis XVI. Ce roi, passionné de mer et de géographie, accorda beaucoup d’attention et d’argent à la remise à niveau de la flotte française, négligée dans les dernières années du règne de Louis XV.
De nombreuses mises en chantiers confortèrent l’effort de construction. Les vaisseaux étaient construits selon trois modèles principaux : les 74 canons (classe Téméraire), les 80 tonneaux (classe Tonnant) et les 118 canons (classe Commerce de Marseille). Tous étaient de grande dimension dans leur catégorie et faisaient preuve de qualités exemplaires. Les vaisseaux les plus faiblement artillés (50, 64 canons) furent progressivement mis à la casse.



Le Léopard, Hôtel de Ville de Libourne


Le Léopard est devenu un symbole de la flotte française grâce à l’amiral Edouard-Thomas Burgues-Missiessy pour avoir servi à plusieurs campagnes scientifiques. Missiessy travailla à son bord avec Armand de Kersaint, à la mise au point de divers perfectionnements techniques pour les vaisseaux. Les théories, non encore éprouvées, qu’il démontra sur Le Léopard firent époque dans les annales de la science navale et lui permirent de développer et perfectionner ses connaissances. Ces dernières servirent de base à la rédaction de nombreux traités et à la révolution de la navigation maritime.


Conclusion

Les liens entre ces trois grandes maquettes et le port de Libourne sont étroits même si l’on ne peut affirmer leur venue en son sein. La part belle était donnée aux trois-mâts de 500 tonneaux, loin des 2000 tonneaux de La Couronne. Cependant, la suite des recherches nous le dira, il n’est pas impossible que de grandes nefs en provenance des colonies aient fait escale dans le port de Libourne ou soient venues s’approvisionner en poudre et en canon. Cette découverte mettrait un terme au long travail de sape perpétré par l’Amirauté de Bordeaux, à la même époque, à l’encontre du port de libourne.




Le Port de Libourne, tableau du Musée des Beaux Arts de Libourne


Grâce aux écrits d’Antoine Feuilhade, Conseiller de l’Amirauté à Libourne, on connaît la gloire que connut le port de Libourne pendant 35 ans. Ce sont les seuls documents qui nous restent, les registres maritimes ou administratifs ayant tous disparu dans l’incendie du port de Bordeaux  puis dans l’incendie du Tribunal de Libourne, qui possédait les archives du port en 1920…
Tout fut mis en place pour que l’existence du port de Libourne soit systématiquement dévalorisée par l’Amirauté de Bordeaux, voire niée.




Heureusement, l’arrivée dernière des nouveaux navires de croisière, élégants et majestueux, a redonné vie au port de Libourne, redorant le blason de la ville et réaffirmant sa vocation originelle de bastide portuaire. La belle Tour du Grand Port, vestige de cette époque extraordinaire, reprend doucement sa fonction de Porte de la Mer, principale entrée de la ville quand la rivière était le seul et unique axe de trafic de marchandises en tout genre.  C’était la porte des marins, qui arrivaient par dizaines dans la bastide y séjournant parfois plusieurs mois avant de repartir vers des terres lointaines.

Le port de Libourne c’était la vie, le cœur, le poumon économique de la jolie bastide. A l’âge des grands vaisseaux du négoce colonial et des puissants navires de guerre de la marine française, il fut un éminent concurrent du port de Bordeaux.






                                                                                                       Camille Desveaux


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