jeudi 23 avril 2020

Saint Jean-Baptiste perd la tête...





Libourne,
La tête de Saint Jean-Baptiste








Depuis plusieurs semaines, le clocher de l’Eglise Saint-Jean, s’est paré d’un enchevêtrement de tiges de fer et de barres métalliques à l’allure mi féerique mi fantomatique témoignant du génie des bâtisseurs des temps nouveaux. Tout leur savoir-faire est mis en œuvre pour le sauver. Depuis 170 ans, ce couvre-chef faisait la fierté de la jolie bastide du confluent, mieux, il était sa force, surplombant l’écrin de la Sainte Epine que les plus grands rois de France et d’Angleterre vénérèrent au cours des siècles.

Avant la flèche malade, l’église Saint-Jean avait déjà changé de « tête » plusieurs fois, suite aux grands travaux de restauration voulus par l’archevêque Arnaud Guiraud de Cantenat en 1134 puis par Bertrand de Goth au XIVème siècle. Trois fois au total : plus que son Saint Patron, Saint Jean-Baptiste, qui la perdit définitivement au temps d’Hérode Antipas sous les mains de ses bourreaux…

C’est ce Jean-Baptiste, dernier prophète de l’Ancien Testament, cousin de Jésus et Précurseur du Messie, que les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem choisirent comme saint protecteur au XIème siècle, offrant son nom aux églises de Libourne, Pomerol et Lalande de Pomerol où ils érigèrent leurs commanderies. Cet ordre militaire voué à la protection des croisés, contemporain des Templiers, s’est installé très tôt à Libourne, bien avant la fondation du grand prieuré de Bordeaux…

Mais qui étaient ces chevaliers ? Que faisaient-ils à Libourne ? Quel rôle ont-ils eu dans le développement de l’église Saint-Jean ? Quel souffle ont-ils donné au vignoble libournais et pourquoi ?





Les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem



Hospitalier et Templier
Créé à Jérusalem à la fin du XIème siècle pour venir en aide aux pèlerins malades, rompus par la fatigue du voyage, le tout nouvel ordre de l’Hôpital, placé sous l’invocation de Saint Jean-Baptiste, s’installa d’abord dans la Ville Sainte avant d’essaimer dans le monde et notamment en France. L’ordre religieux hospitalier fut reconnu par le pape le 15 février 1113 avant d’évoluer en ordre militaire dès 1137. Les Hospitaliers, aussi appelés Chevaliers de Saint-Jean, étaient reconnaissables à la croix blanche brodées sur leur surcot qui les différenciait des Templiers à la croix rouge.
Le nom d’Hôpital qu’ils donnèrent à leurs commanderies est à l’origine du mot hôpital que nous connaissons aujourd’hui, le but était le même, mille ans auparavant : venir en aide et soigner les malades.




Les commanderies de Pomerol et Lalande de Pomerol



L'église Saint Jean-Baptiste, Lalande de Pomerol
A Libourne, ils s’installèrent dans la campagne entourant la ville, à Pomerol et à Lalande de Pomerol dont l’église typique reste l’unique vestige de la commanderie. C’était au début du XIIème siècle, grâce à l’aval du vicomte de Castillon qui approuva une donation de terres en leur faveur.
L’église et l’hôpital étaient les deux points forts des commanderies. Toutes les chapelles étaient bâties de la même manière : rectangulaires à chevet plat, percé de trois fenêtres, une nef unique, et des murs extérieurs portant à mi-hauteur une série de corbeaux recevant la poutre faîtière.
A Pomerol, l’église s’élevait sur le point culminant de la paroisse à quelques pas de la route reliant Saint-Emilion à Guîtres. L’hôpital, quant à lui, se situait à deux kilomètres en contrebas près de la paroisse de Saint-Emilion au croisement de deux grands axes de communication : la route Guîtres-Saint-Emilion et l’ancienne grande route Libourne-Périgueux. De nombreuses croix hospitalières balisaient le chemin des pèlerins qui pouvaient demander asile aux hôpitaux de Lalande de Pomerol et de Pomerol mais aussi à celui de Libourne (l’Hôpital Saint-James qui se situait en lieu et place de l’actuel Temple protestant place de la Croix Rouge).




Les restaurateurs du vignoble au XIIème siècle



Habiles administrateurs de terres qu’ils louaient moyennant des subsides pécuniaires ou vinaires, les Hospitaliers de Saint-Jean furent aussi de grands restaurateurs du vignoble dans le Libournais. En ces temps de pèlerinages, le vin avait une valeur hautement spirituelle, symbole du Sang du Christ, il était utilisé dans toutes les cérémonies religieuses. Sa valeur gastronomique et ses bienfaits sur la santé furent également reconnus à cette époque qui marqua le début d’une nouvelle ère commerciale vers les pays d’Europe du Nord et notamment l’Angleterre.



Saint Jean de Fozera



Malgré leur éloignement de Libourne, afin de se doter de terres suffisamment larges pour y cultiver la vigne et les autres cultures permettant leur autosubsistance, les Hospitaliers possédaient de nombreux biens dans la ville. Leur participation à l’essor de la petite église du confluent est indéniable. En effet, avant même la construction de la bastide, le quartier de l’église Saint-Jean avait connu un grand développement économique grâce à l’essor de la pêche et des échanges commerciaux. Même s’il paraît aujourd’hui un peu excentré du cœur de la bastide, le quartier Saint-Jean fut l’un des plus prospères de la ville au Moyen Age. On y trouvait les habitations des pécheurs, celles des bateliers et autres professionnels de la mer (la Dordogne et la Garonne s’appelaient ainsi).
Au temps des Croisades, afin de sanctifier toutes ces âmes besogneuses, incapables d’accomplir de longues distances pour assister à la Sainte Messe, les Hospitaliers envisagèrent la transformation de la chapelle d’un ancien prieuré (qui donna son nom au quai du Priourat) en église bien plus vaste, capable d’accueillir la population grandissante du quartier. 
Très vite, cette église devint, grâce au secours de l’Archevêque Arnaud Guiraud, l’église principale de la future bastide, détrônant celle de Saint Thomas qui abritait la Sainte Epine.




l'église Saint Thomas qui se trouvait à la place du marché couvert de Libourne

Ce nouveau lieu de culte prit le nom de Saint-Jean de Fozera, indiquant par la même, le caractère humide et végétal de l’endroit, Fozera signifiant fougère ou fosse (terrain de bord de l’eau).
Voilà pourquoi le bourg celte de Kendatten, romanisé en Condatis (premier nom de Libourne voulant dire confluent) fut rebaptisé en Fozera ou Saint-Jean de Fozera au temps des Hospitaliers.

Mais pourquoi avaient-ils choisi le vocable de Saint Jean-Baptiste ?



 Jean Le Baptiste



Issu d’une famille sacerdotale, Jean vint au monde dans des circonstances peu communes. Son père qui exerçait la fonction de prêtre au Temple de Jérusalem et sa mère, Elisabeth, étaient très âgés au moment de sa naissance. Pendant des années, le couple avait attendu ce prodige sans y croire, souffrant intérieurement de la honte que provoquait la stérilité en ce temps là, signe de disgrâce. Pourtant un jour qu’il était au Temple, Zacharie fut surpris par la visite d’un ange :

« Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée. Ta femme Elisabeth mettra au monde un fils et tu lui donneras le nom de Jean. Tu seras dans la joie et l’allégresse et beaucoup se réjouiront de sa naissance car il sera grand devant le Seigneur. »
Alors Zacharie dit à l’ange : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? »
L’Ange lui répondit : « Je suis Gabriel et je me tiens en présence de Dieu, j’ai été envoyé pour te parler et t’annoncer cette bonne nouvelle. Mais voici que tu seras réduit au silence et, jusqu’au jour où cela se réalisera, tu ne pourras plus parler, parce que tu n’as pas cru à mes paroles ; celles-ci s’accompliront en leur temps. » [1]

En effet, Zacharie fut rendu muet jusqu’à l’arrivée de son fils dont il écrivit le nom sur une tablette pour que tout le monde sache que Dieu, par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel avait choisi pour lui le prénom de Jean signifiant « Dieu fait grâce » en hébreu. A ce moment là, il retrouva la parole.

Jean Le Baptiste baptisant Jésus (Chapelle de Condat)
Jean grandit en sainteté et en sagesse. Il se retira très jeune dans le désert de Judée où il commença à mener une vie d’ascète. Pauvrement vêtu, il prêchait la repentance pour le pardon des péchés, appelait les gens à la conversion et annonçait le Royaume de Dieu. Installé sur les bords du Jourdain, il pratiquait le baptême par immersion dans l’eau, d’où son surnom de Baptiste.
Jean avait autour de lui de nombreux disciples à qui il proclamait la venue du Messie, celui qui les baptiserait non seulement avec de l’eau mais aussi dans l’Esprit Saint. Sa prédiction fut accomplie quand Jésus se présenta à lui pour se faire baptiser. A ce moment là, une voix retentit du Ciel et dit : « Celui-ci est mon Fils Bien Aimé ! ».
Ainsi Jean avait-il été au bout de sa prophétie s’effaçant peu à peu devant l’Agneau de Dieu.
Son ascèse et sa piété faisaient grande impression au gouverneur Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand, qui l’invitait régulièrement à venir prêcher à la Cour.  Il l’écoutait avec intérêt, convaincu par ses dons de prophétie et ses grandes vertus spirituelles. 

Mais Jean était avant tout un homme de Dieu, un homme rempli de vérité. Or Hérode, qui venait de répudier sa femme pour épouser celle de son demi-frère Philippe, fut vertement repris par Jean qui lui reprocha cet acte immoral. Furieux de se voir dicter sa conduite, Hérode le fit emprisonner. Hérodiade, sa nouvelle épouse, attendit le moment opportun, relaté dans la Bible par la mémorable danse de sa fille Salomé, pour se venger. Hérode subjugué par la jeune danseuse, lui aurait promis tout ce qu’elle désirait, même la moitié de son royaume. Etonnée, Salomé demanda à sa mère ce qu’elle devait faire et Hérodiade sauta sur l’occasion pour exiger la tête de Jean.
Alors Salomé réclama à Hérode la tête de Jean le Baptiste sur un plateau…



Salomé, Gustave Moreau, 1837

Si Hérode fut attristé par cette demande, il s’y plia. Et l’on dit que sa vie ne fut plus qu’une série d’échecs jusqu’à son exil dans le sud de la France, à Saint Bertrand de Comminges, où ils moururent en disgrâce avec sa femme Hérodiade…
Très vite, la mort de Jean le Baptiste se répandit dans tout l’orient et dans tout l’occident, faisant du Précurseur de Jésus, l’un des plus grands saints de la Chrétienté.
Sa piété, son ascèse, sa droiture et sa fidélité au Christ, mais aussi ses miracles et ses dons de guérison lui valurent l’admiration de nombreux disciples.

Telle fut la raison du choix des Hospitaliers pour ce Saint Patron hors du commun, dernier prophète de l’Ancien Testament, cousin de Jésus par sa mère (parente de la Vierge Marie) et passeur de flambeau au nouvel Adam, le Christ en personne.



 L’église Saint Jean se transforme



L'ancien clocher de St-Jean, du peintre libournais Léo David
Peu de temps après la fondation de la bastide de Libourne en 1270, le quartier Saint-Jean et ses rues sinueuses fut englobé dans la construction de la ville nouvelle contrastant avec  le plan en damier si caractéristique des bastides.
L’église Saint Jean connut un profond remaniement sous les auspices de Bertrand de Goth devenu le pape Clément V qui ordonna son agrandissement. Le nouveau bâtiment rayonnant de part et d’autre engloba entièrement le premier. Mais le clocher carré à deux étages de baies et haut de 26 mètres, resta le même jusqu’à sa démolition en 1838.
Sur le frontispice de l’édifice fut placée la magnifique statue de saint Jean-Baptiste que l’on peut admirer aujourd’hui encore au musée des Beaux Arts de Libourne. Ce chef d’œuvre d’albâtre conserve toujours les traces de dorures et de peinture qui offraient à l’ensemble une beauté saisissante. Probablement détruite à la Révolution Française, elle fut retrouvée en plusieurs morceaux dans les gravats du baptistère lors de la restauration de l’église au XIXème siècle.
La tête était séparée du reste du corps…



 La nouvelle tête de Saint Jean-Baptiste



Je ne vous raconterai pas l’histoire du dernier clocher de l’église Saint-Jean (voir l'article du mois de janvier intitulé, La Fabuleuse histoire du clocher de Saint-Jean), mais j’aimerais attirer votre attention sur la beauté de sa flèche pourtant si décriée à l’époque. Si vous vous promenez dans les rues de Bordeaux, de Saint-Emilion et de bien d’autres villes et villages de la région, vous remarquerez leur similarité. Cette originalité n’a rien d’étrange ou d’exceptionnel mais provient de la volonté d’un homme, Monseigneur Ferdinand Donnet, Archevêque de Bordeaux, de restaurer  toutes les églises du diocèse malmenées par la Révolution Française, environ 310 sur 600. Plus les flèches des clochers s’élevaient vers le haut, plus elles lavaient l’affront de l’impiété et de la terreur révolutionnaires.
Haussmann, préfet de la Gironde de 1851 à 1853, dira : « Notre département, Monseigneur, ressemblera d’ici peu à un hérisson ! »
Ainsi en 1853, l’église Saint Jean-Baptiste de Libourne arbora-t-elle cette allure princière qui lui valut parfois le nom de cathédrale !
Quant à la belle statue d’albâtre il fallut attendre l’an 2011 pour qu’elle soit remarquablement restaurée et exposée au Musée des Beaux Arts de Libourne comme pièce phare de la collection.
Tel un phénix, Saint Jean-Baptiste retrouva sa tête !



 Des Hospitaliers à l’ordre de Malte



Des Chevaliers de malte
Les Hospitaliers de Libourne ne connurent pas cette consécration de l’église Saint Jean-Baptiste, ils avaient quitté la région au moment de la Révolution Française, tributaires de l’histoire de leur Ordre et de celle du monde en général.
D’abord installé à Chypre puis à Rhodes, où il développa sa puissance maritime pour continuer à faire rempart contre les sarrasins, l’Ordre reçut en 1314, l’ensemble des biens des Templiers après leur tristement célèbre dissolution, faisant des Hospitaliers l’Ordre chevaleresque le plus puissant de toute la Chrétienté.
Cette puissance, devenue politique, ne cessera de s’accroître lors de son installation à Malte en 1530 qui deviendra une véritable plateforme du commerce mondial.
Pendant deux siècles, l’Ordre connaîtra de nombreuses vicissitudes avant que ne soit fondé son principal successeur: l’Ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, plus connu sous le nom d’Ordre de Malte dont le siège se trouve aujourd’hui à Rome.
Il conserve sa fonction souveraine de protéger les pauvres et les malades en vertu de la première règle de l’Ordre : « Protéger la foi, secourir les indigents, accueillir les sans-logis, soigner les malades et œuvrer pour la paix et le bien dans le monde. » Son savoir-faire en matière de soins et d’aide aux plus démunis est reconnu dans le monde entier.



De l’Ordre de Malte à Libourne…



La statue d'albâtre du Baptiste, Musée de Libourne
Le grand projet de réhabilitation de la Sainte Relique du Christ, dans l’église Saint-Jean, pourrait redonner aux Chevaliers de Malte la place qui leur revient dans l’histoire de la ville.

Leur retour à Libourne, autour de la Sainte Epine, comme gardiens de l’illustre relique, serait une consécration, la boucle d’un cercle vertueux qui débuta mille ans plus tôt dans la campagne entourant la jolie bastide du confluent.

Plus encore, le retour des Chevaliers de Malte, garantirait à l’église Saint Jean-Baptiste, dont la tête est encore menacée, une nouvelle page de son histoire, celle d’une union féconde et heureuse dont l’origine se fond dans la nuit des temps, pour la gloire de Libourne et la plus grande fierté de ses habitants.



Puisse  Saint Jean Baptiste retrouver son plus beau sourire !


                                            Camille






[1] Evangile selon Saint Luc, chapitre 1, versets 5 à 16.

Libourne, la Confluente          Toute l’histoire de Libourne est placée sous le signe de la confluence.  Confluence de r...