Les Riches Heures de la Bastide de Libourne:
Signature de la charte communale
Le
29 septembre est l’une des dates anniversaires parmi les plus importantes de
l’histoire de Libourne. C’est en
effet le 29 septembre 1270, jour de la fête de l’Archange Saint-Michel, que le
prince Édouard d’Angleterre, qui sera roi deux ans plus tard, accorde aux
habitants de notre ville les privilèges et les droits communaux. Depuis 1268,
il avait été décidé de faire une bastide du vieux village de Fozera (le Condatis romain) : une
ville nouvelle, une cité destinée à accueillir une population importante venue
des campagnes, et qui puisse servir à la fois de forteresse et de plateforme
pour le développement économique de la région.
Le prince Édouard qui est aussi duc d’Aquitaine signe
cette charte alors qu’il est en route pour la croisade. Il a reçu quelques
semaines plus tôt une délégation libournaise qui a sollicité le statut qui est
aujourd’hui proclamé.
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Alors
que la bastide sort de terre et prend le nom de Libourne, du nom du sénéchal Roger de Leyburn chargé de la
fondation de la ville, le prince fixe,
par cet acte relativement bref, le statut de la cité, son organisation
politique, et les privilèges juridiques et économiques qui doivent en favoriser
le développement. Cette charte est enracinée dans la durée puisqu’elle oblige
le prince et le roi son père mais aussi tous leurs descendants. En cela, elle
constitue un gage de sécurité juridique quasiment sacré pour les libournais et
leur communauté.
Le statut de la
cité
Il est proclamé devant tous, nobles, ecclésiastiques,
fonctionnaires royaux et simples sujets, que la ville est la propriété personnelle
et perpétuelle du roi. En fait de quoi la ville, et les domaines qui en
dépendent, ne pourront en aucun cas être concédés à un seigneur féodal ou
ecclésiastique. Les habitants de Libourne
sont ainsi garantis de n’être justiciables que du roi. Ce dernier, pour sa part,
écarte le risque d’un soulèvement de la ville, laissée aux mains d’un seigneur
félon, contre l’autorité royale. Parallèlement le pouvoir royal usera aussi de
sa prérogative pour éteindre les réclamations des familles nobles qui
possédaient sur l’ancien village des droits féodaux, obsolètes du fait de la
charte. L’indépendance de Libourne
vis à vis de toutes les autorités politiques de l’époque, sauf celle du roi,
est ainsi effective.
L’organisation
politique de la cité
Libourne sera organisée en commune avec, pour son administration,
des jurats, et un maire élu et confirmé chaque année, jour de la Sainte
Marie-Madeleine le 22 juillet, par le roi ou son représentant. Cette municipalité
est garante, pour le compte des habitants de la ville, de la bonne exécution de
la charte et de la préservation des libertés municipales. Sur ce point, il faut
noter que la charte de 29 septembre 1270, si elle fixe et organise le statut de
la commune, n’en confirme pas moins les droits anciens et prérogatives dont
bénéficiait auparavant Fozera. De
sorte que la ville nouvelle est également enracinée dans un passé déjà vieux
d’un millénaire.
Les privilèges
économiques et juridiques des habitants de la cité
Ces privilèges sont adressés aux bourgeois de Libourne, c’est à dire aux colons qui
viennent s’installer dans les limites de la ville et y achètent un lot de terre.
Qu’il s’agisse de privilèges anciens et confirmés ou de droits nouveaux, le
contenu de la charte de 1270 rend particulièrement avantageux une installation
à Libourne. Les droits sont concédés
à titre perpétuel par le roi, nul ne peut y porter atteinte.
En premier lieu il y a
des droits civiques concernant :
Ø la
possibilité de choisir des jurats et indirectement un maire, et le fait d’être
éligible au rang de jurat et de maire. C’est à la fois une possibilité
d’accéder aux affaires publiques et une sorte d’ascension sociale, à cette
époque quasiment impossible pour de simples roturiers ;
Ø le
fait de n‘être astreint à un service militaire que sur les seuls territoires
des évêchés de Bordeaux et de Bazas, alors qu’à la même époque des sujets ne
bénéficiant pas d’un tel privilège suivent leur seigneur où qu’il aille en
guerre. En outre la Guyenne est à cette époque un territoire prospère et
politiquement stable, placé sous l’autorité d’un des souverains les plus
puissants d’Europe. Les risques d’un départ en guerre entre Bordeaux et Bazas
pour un libournais contemporain de l’année 1270 apparaissaient faibles ;
Ø le
fait de n’être imposable que pour les seules dépenses nécessaires au
fonctionnement de la ville, telles que déterminées par les jurats.
Viennent ensuite des
privilèges juridiques et économiques :
Ø Les
libournais sont exemptés des droits de douane dus au roi, à l’entrée, pendant
le séjour, ou à la sortie de la ville. Cette exemption dont la cassette royale
fait les frais, manifeste la volonté royale de favoriser la circulation des
marchandises et l’activité des commerçants installés à Libourne. A cet égard,
la charte souligne bien qu’elle est accordée à la ville et à son port. Si
d’aucuns ont cru voir dans cette distinction un indice sur l’existence, aux
origines de Libourne, de deux ilots d’urbanisation séparés, c’est aussi le
témoignage de l’existence d’une activité portuaire réelle, et de la volonté des
souverains anglais d’en renforcer le dynamisme pour faire de Libourne une place
économique de premier ordre ;
Ø Les
biens des libournais situés sur d’autres régions du domaine royal non seulement
en France et en Angleterre mais aussi dans les territoires en voie de soumission
à la couronne anglaise : le pays de Galles et l’Irlande, restent soumis aux
seules droits et coutumes de Libourne. Par cette disposition les libournais, habitants
d’une ville portuaire et volontiers commerçants, bénéficient d’une franchise
remarquable en ayant la possibilité de circuler et d’établir des comptoirs sur
l’ensemble du territoire de l’immense empire des Plantagenet sans avoir à
craindre de déboires résultant de l’application sur leurs biens de droits de
douane étrangers et inconnus ;
Ø Les libournais ne sont tenus que par les
dettes qu’ils ont eux mêmes souscrits Ils ne répondent pas des dettes d’autrui
(seigneurs ou évêques). Ils sont comptables de leur créance devant le maire.
Le livre velu dont figure ici l’une des
pages les plus connues (celle où l’on prêtait serment sur le Christ) est un
recueil du XV° siècle où sont retranscrits toutes les chartes et tous les actes
contenant les droits dont bénéficiait Libourne. Il est conservé aux Archives de
la Ville.
Le 25 Août 1270, un mois
avant la signature de charte, Saint Louis était mort. Le temps des croisades finissait.
Le moyen âge évoluait déjà. La charte, aujourd’hui conservée dans le livre velu,
inscrit Libourne dans un ensemble de mouvements qui animent l’Europe au XIIIème
siècle :
Ø une
forte progression démographique ; Libourne est un lieu de peuplement
nouveau ;
Ø l’évolution
du monde féodal qui voit le pouvoir des seigneurs progressivement maitrisé par
les souverains d’Europe ; par la volonté royale Libourne n’est pas un fief
féodal ;
Ø L’évolution
économique favorisée par une paix relative et le développement de routes
commerciales ; Libourne est particulièrement bien située à cet égard ;
Ø Un
mouvement communal qui, souvent soutenu par les plus hautes autorités
politiques, fleurit partout en Europe et voit l’émancipation de noyaux urbains prospères
dirigés non plus par des nobles ou des ecclésiastiques mais par les représentants
les plus éminents d’une classe sociale en pleine ascension : la
bourgeoisie.
La montée des rivalités franco-anglaises ne tardera cependant
pas à entrainer Libourne, comme
toutes les bastides de Guyenne et de Gascogne,
dans la guerre de cent ans. L’un des enjeux de ce conflit sera, pour elle, de
conserver malgré les troubles et les vicissitudes les privilèges qui lui
sont donnés en ce jour.
Pour l'OPPAL: Jean-François Le Strat
Ont collaboré: Léo Le Strat et Dominique Rose