Les Riches Heures de la Bastide de Libourne
17 Janvier 1368
Du Guesclin est libéré
par le Prince Noir
Durant tout
l’automne 1367, après la défaite de Najera près de Logroño, Du Guesclin fut
fait prisonnier par le Prince Noir et retenu au Palais de l’Ombrière à Bordeaux
et au château de Condat à Libourne. La femme du prince, la belle Jeanne de Kent
y résidait et reprenait des forces après la naissance de son petit Richard (le
futur Richard II). Le château de Condat, auquel appartenait la chapelle de
Condat, était l’une des demeures royales les plus appréciées par la cour
d’Angleterre. La nature, le calme, en faisait un lieu de villégiature unique,
encensé par de nombreux chroniqueurs. Son nom lui provenait de la première
appellation de Libourne, Condatis (le confluent), durant laquelle il avait été
construit par l’arrière grand-père d’Aliénor d’Aquitaine.
Le 13 avril
1367, Bertrand Du Guesclin qui combattait aux côtés du Roi de France pour
porter secours au Roi d’Aragon défié par Pierre le Cruel, fut arrêté après la
terrible défaite de l’armée française. Quinze chroniques différentes
mentionnent des pertes françaises de près de quinze mille hommes contre une
centaine du côté anglais !
« La
bataille de Najera détiendrait un véritable record médiéval, sinon absolu, avec
un rapport des pertes de l’ordre de 1/130 (un demi siècle plus tard, à
Azincourt, le rapport sera de 1/30) ». Cette disproportion
« s’explique d’une part par l’efficacité des archers et d’autre part par
le massacre des fuyards »[1].
Une hécatombe pour les français et une consécration pour le valeureux Bertrand
Du Guesclin qui se battit jusqu’au bout, avant de s’avouer vaincu, effondré devant
un tel carnage.
La bataille de Najera |
Le destin
montrera au Prince Noir qu’il avait eu tort de s’allier à Pierre le Cruel. Cet
homme violent et sans parole, bafouant toutes les lois de la chevalerie avait
fait miroiter au Prince des sommes colossales s’il l’aidait à récupérer le
trône de l’Aragon. Une fois fait, il laissa croupir le Prince Noir et son armée
dans le centre de l’Espagne, avec leurs prisonniers, dont Du Guesclin, promettant
de les payer. Ce qu’il ne fit jamais. De nombreux guerriers moururent de faim
et de dysenterie en attendant l’argent de Pierre le Cruel. C’est là que le
Prince Noir attrapa la maladie qui allait le défigurer et le tuer quelques
années plus tard.
De retour à
Bordeaux, Bertrand Du Guesclin, « libre de ses mouvements est condamné à
se morfondre dans la plus longue inactivité de sa carrière (…). Il se
morfond à Condat, alors que la plupart des prisonniers de Najera ont été
libérés depuis longtemps. Il est toujours retenu sans que personne n’évoque une
possible rançon. Bien traité, il est en semi-liberté et passe son temps comme
il peut »[2]. Le
chroniqueur Cuvelier raconte les parties d’échec qu’il faisait avec son
chambellan.
L’histoire
de sa libération est aussi romanesque que rocambolesque. Les chroniqueurs
rapportent le même récit d’un dialogue entre le Prince Noir et Du Guesclin qui
souffrait de ne pas avoir été mis à rançon. Bertrand Du Guesclin accusa le
Prince Noir d’avoir peur de lui et de ne pas vouloir le relâcher. Le Prince,
piqué au vif, hurla que cela était faux mais qu’il savait qu’il n’avait pas
d’argent pour payer sa rançon. Pourtant face à l’arrogance et la bravoure du
français, il lui demanda de fixer lui-même sa rançon.
Le fier Du
Guesclin, qui n’avait pas un centime en poche, le toisa et lança le montant de cent
mille doubles d’or (460 kilos d’or). Il argua que le roi de Castille en
paierait la moitié et le roi de France, l’autre !
Le Prince noir fut stupéfait par la
folie du chevalier français. Non seulement il avançait une somme de rançon le
concernant qui dépassait celle des plus grands seigneurs, mais en plus il
engageait deux souverains sans leur consentement.
Du Guesclin fait connétable par le Roi de France |
Les
chroniqueurs racontent que Du Guesclin connaissait son pouvoir de séduction sur
les femmes malgré sa difformité et aurait dit au Prince Noir, au sujet de sa
rançon :
Je vous déclare et je m’ose vanter :
Il
n’y a pas une fileuse en France à travailler
Qui
ne tâcherait de gagner ma rançon à filer,
Et
qui ne voudrait de vos prisons ôter.
Cette prédiction
s’avéra juste car la première à participer à sa rançon fut une femme, la belle
Jeanne de Kent qui lui aurait remis dix mille doubles d’or pour l’aider à
constituer sa rançon. L’historien Georges Minois nous dit qu’il l’accepta par
courtoisie alors qu’il avait refusé celle Jean Chandos du même montant par
fierté !
Jeanne de
Kent appréciait cet hôte chevaleresque et pieux, un vitrail de l’église de
l’Epinette nous montre Du Guesclin, genou à terre, devant la Sainte Epine de
Libourne.
Du Guesclin devant la Sainte Epine (bas), Eglise de l'Epinette |
Après avoir
réuni la somme (qu’il dut rembourser dans son intégralité après sa libération…)
et l’avoir donnée au Prince Noir, il fut libéré le 17 janvier 1368, sauvé par
l’honneur mais pétri de vengeance…
Le château de Condat en fera les
frais dix ans plus tard!
Camille Desveaux