samedi 17 janvier 2015

Libourne, le 17 janvier 1368

Les Riches Heures de la Bastide de Libourne

17 Janvier 1368

Du Guesclin est libéré par le Prince Noir

Bertrand Du Guesclin, gravure de De Neuville


        Durant tout l’automne 1367, après la défaite de Najera près de Logroño, Du Guesclin fut fait prisonnier par le Prince Noir et retenu au Palais de l’Ombrière à Bordeaux et au château de Condat à Libourne. La femme du prince, la belle Jeanne de Kent y résidait et reprenait des forces après la naissance de son petit Richard (le futur Richard II). Le château de Condat, auquel appartenait la chapelle de Condat, était l’une des demeures royales les plus appréciées par la cour d’Angleterre. La nature, le calme, en faisait un lieu de villégiature unique, encensé par de nombreux chroniqueurs. Son nom lui provenait de la première appellation de Libourne, Condatis (le confluent), durant laquelle il avait été construit par l’arrière grand-père d’Aliénor d’Aquitaine.

        Le 13 avril 1367, Bertrand Du Guesclin qui combattait aux côtés du Roi de France pour porter secours au Roi d’Aragon défié par Pierre le Cruel, fut arrêté après la terrible défaite de l’armée française. Quinze chroniques différentes mentionnent des pertes françaises de près de quinze mille hommes contre une centaine du côté anglais !

« La bataille de Najera détiendrait un véritable record médiéval, sinon absolu, avec un rapport des pertes de l’ordre de 1/130 (un demi siècle plus tard, à Azincourt, le rapport sera de 1/30) ». Cette disproportion « s’explique d’une part par l’efficacité des archers et d’autre part par le massacre des fuyards »[1]. Une hécatombe pour les français et une consécration pour le valeureux Bertrand Du Guesclin qui se battit jusqu’au bout, avant de s’avouer vaincu, effondré devant un tel carnage.



La bataille de Najera


         Le destin montrera au Prince Noir qu’il avait eu tort de s’allier à Pierre le Cruel. Cet homme violent et sans parole, bafouant toutes les lois de la chevalerie avait fait miroiter au Prince des sommes colossales s’il l’aidait à récupérer le trône de l’Aragon. Une fois fait, il laissa croupir le Prince Noir et son armée dans le centre de l’Espagne, avec leurs prisonniers, dont Du Guesclin, promettant de les payer. Ce qu’il ne fit jamais. De nombreux guerriers moururent de faim et de dysenterie en attendant l’argent de Pierre le Cruel. C’est là que le Prince Noir attrapa la maladie qui allait le défigurer et le tuer quelques années plus tard.

       De retour à Bordeaux, Bertrand Du Guesclin, « libre de ses mouvements est condamné à se morfondre dans la plus longue inactivité de sa carrière (…). Il se morfond à Condat, alors que la plupart des prisonniers de Najera ont été libérés depuis longtemps. Il est toujours retenu sans que personne n’évoque une possible rançon. Bien traité, il est en semi-liberté et passe son temps comme il peut »[2]. Le chroniqueur Cuvelier raconte les parties d’échec qu’il faisait avec son chambellan.

       L’histoire de sa libération est aussi romanesque que rocambolesque. Les chroniqueurs rapportent le même récit d’un dialogue entre le Prince Noir et Du Guesclin qui souffrait de ne pas avoir été mis à rançon. Bertrand Du Guesclin accusa le Prince Noir d’avoir peur de lui et de ne pas vouloir le relâcher. Le Prince, piqué au vif, hurla que cela était faux mais qu’il savait qu’il n’avait pas d’argent pour payer sa rançon. Pourtant face à l’arrogance et la bravoure du français, il lui demanda de fixer lui-même sa rançon.
Le fier Du Guesclin, qui n’avait pas un centime en poche, le toisa et lança le montant de cent mille doubles d’or (460 kilos d’or). Il argua que le roi de Castille en paierait la moitié et le roi de France, l’autre !
Le Prince noir fut stupéfait par la folie du chevalier français. Non seulement il avançait une somme de rançon le concernant qui dépassait celle des plus grands seigneurs, mais en plus il engageait deux souverains sans leur consentement.

Du Guesclin fait connétable par le Roi de France
       De Libourne à Bordeaux, tout le monde voulait voir cet homme qui se prenait pour un seigneur et des foules de gens se pressaient au château de Condat. Les avis étaient partagés à son sujet, certains l’admiraient, d’autres se moquaient de sa laideur. Toute sa vie Bertrand avait vécu avec cette infirmité physique (une taille petite, la peau presque noire et un corps trapu) lui valant le rejet de sa mère. Toute sa vie, il avait cherché, par sa bravoure et son honnêteté, mais aussi sa force et son impulsivité, à se faire un nom. D’enfant maltraité, il était devenu le Dogue Noir de Brocéliande, respecté de tous et surtout des plus grands et allait bientôt devenir connétable de France, la place la plus prestigieuse de l’armée du Roi.
Les chroniqueurs racontent que Du Guesclin connaissait son pouvoir de séduction sur les femmes malgré sa difformité et aurait dit au Prince Noir, au sujet de sa rançon :

 Je vous déclare et je m’ose vanter :
Il n’y a pas une fileuse en France à travailler
Qui ne tâcherait de gagner ma rançon à filer,
Et qui ne voudrait de vos prisons ôter.

       Cette prédiction s’avéra juste car la première à participer à sa rançon fut une femme, la belle Jeanne de Kent qui lui aurait remis dix mille doubles d’or pour l’aider à constituer sa rançon. L’historien Georges Minois nous dit qu’il l’accepta par courtoisie alors qu’il avait refusé celle Jean Chandos du même montant par fierté !
Jeanne de Kent appréciait cet hôte chevaleresque et pieux, un vitrail de l’église de l’Epinette nous montre Du Guesclin, genou à terre, devant la Sainte Epine de Libourne.

Du Guesclin devant la Sainte Epine (bas), Eglise de l'Epinette 


      Après avoir réuni la somme (qu’il dut rembourser dans son intégralité après sa libération…) et l’avoir donnée au Prince Noir, il fut libéré le 17 janvier 1368, sauvé par l’honneur mais pétri de vengeance…
Le château de Condat en fera les frais dix ans plus tard!


Camille Desveaux





[1] Minois, Georges : Du GUESCLIN, Arthème Fayard, 1993.
NB: Georges Minois est agrégé d'histoire et docteur d'Etat. Il a consacré ses deux thèses à l'histoire bretonne
[2] Ibid

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