La Miséricorde de Libourne
Maison de Charité fondée par Elisabeth
Yon
Depuis 180 ans, la Miséricorde de Libourne s'est consacrée aux femmes dans la détresse (prostituées, femmes battues, femmes caractérielles) avant de s'étendre aux personnes déficientes mentales. Le charisme des accompagnants (religieuses puis personnel encadrant) est resté le même: accompagnement, aide à la réinsertion dans un esprit de liberté, de dignité et d'amour. Découvrez ce lieu exceptionnel, qui a traversé près de deux siècles, vu renaître Libourne de ses cendres après la Révolution Française et connu une mutation réussie entre ses fondements originels et sa réalité d'aujourd'hui.
(Partie II)
La première pensionnaire libournaise
A la
mort de Marie-Thérèse de Lamourous, le 16 septembre 1836, la ville de Bordeaux
tout entière pleura sa Bonne Mère de la Miséricorde.
Il faut dire que son œuvre et l’esprit
de cette œuvre étaient totalement novateurs à l’époque et allaient à l’encontre
des maisons de corrections ou autres prisons dans lesquelles on enfermait les
femmes dites de mauvaise vie.
A la
Miséricorde les mots d’ordre étaient liberté, dignité et respect. Seules les
femmes désireuses de sortir de l’enfer de la prostitution pouvaient y entrer,
libres d’en sortir à tout moment ou d’y rester pour participer à leur tour à
aider d’autres femmes en détresse.
La
supérieure, qu’on appelait la Bonne Mère selon le souhait de Marie-Thérèse, était
respectée non pour son autorité mais pour le charisme de bonté et de bienveillance
qu’elle possédait, ce même charisme qui devait caractériser toutes les
supérieures de la Miséricorde qui lui
succéderaient.
La
première fut sa nièce, la Bonne Mère Laure, qui, sachant les intentions
d’Elisabeth Yon, l’invita à venir faire un stage d’une semaine à la Miséricorde de Bordeaux. Le 25 janvier
1837, elle lui envoya une jeune pensionnaire, première pierre à l’édifice
libournais.
L’hôpital Saint-James
Il
ne leur restait plus qu’à s’installer. Dans la nuit froide du 2 février 1837,
telles des nouvelles Thérèse d’Avila, Elisabeth Yon et la jeune femme prirent
possession de leurs nouveaux locaux, faisant naître officiellement la Miséricorde de Libourne. La mécène envoyée
par la Providence avait loué pour six mois une partie de l’ancien hôpital Saint-James,
aujourd’hui Temple protestant, comprenant la chapelle et quelques dépendances.
L'hôpital Saint James (Temple Protestant) © NJ |
Nul
début, sauf celui de la Maison bordelaise peut-être, ne fut plus difficile.
Pour toute nourriture, les deux femmes ne possédaient qu’un sac de farine, un
sac de pommes de terre et un morceau de lard. Comme matériel ? Un lit
unique, dont le matelas servit de couchage à l’une et de paillasse à l’autre.
Comme argent ? Six francs en poche, pas plus, c’était la règle établie par
la Bonne Mère de Lamourous.
Le
bâtiment était si effrayant de nudité que la pauvre jeune pensionnaire se mit à
hurler en pleine nuit rêvant que Mademoiselle Yon l’avait entraînée ici pour la
tuer ! Elle alla réveiller la Bonne Mère qui dormait dans la chambre
voisine pour lui raconter son horrible cauchemar.
Elisabeth,
nota dans ses chroniques que ce fut l’un des rares moments drôle de l’histoire
de la fondation de la Miséricorde de
Libourne, qui par la suite, allait s’avérer bien ardue.
Le nouveau visage de Libourne
La reconstruction
postrévolutionnaire
Elisabeth était toujours sous la direction de l’abbé Charriez, pour la plus grande joie des libournais qui allaient découvrir leur ville transformée grâce à son action dans la paroisse combinée aux largesses du duc Decazes. A la mort de son prédécesseur, le père Rouquet, de noble condition par son père greffier au Parlement, l’abbé Charriez, avait hérité de toute sa fortune. Cette dernière n’avait d’égale que la bonne utilisation qu’il avait l’intention d’en faire et qu’avait pressentie le père Rouquet : le jeune Charriez n’avait-il pas déjà fait beaucoup pour Libourne en dirigeant la Congrégation de l’Immaculée Conception ? Monseigneur d’Aviau ne l’avait-il pas complimenté pour son œuvre en venant lui-même à Libourne ?
Tout
cela n’était que le début d’une grande aventure qui allait transformer la ville
dans ses fondements et dans ses fondations pendant près de trente ans.
Il
commença par céder sans indemnités l’appartement qu’il avait acheté aux
Récollets quand la ville voulut y construire un hôpital privé. Puis il fit
construire une petite maison paroissiale, une école pour les enfants pauvres et
un orphelinat. Prêtre zélé et passionné, il fut l’instigateur de la Société des
Amis Chrétiens et de la Société Saint Vincent de Paul. Il institua aussi le
Carmel de Libourne et rédigea un ouvrage d’Exercices
spirituels pour les Carmélites, toujours en usage. Et bien sûr, c’est sous
son impulsion que fut créée la Miséricorde
de Libourne sous la houlette d’Elisabeth Yon. Mais sa plus grande œuvre fut
celle de la restauration de l’église Saint-Jean-Baptiste qui menaçait ruine au
sortir de la Révolution Française. Les travaux colossaux qu’il fit entreprendre
changèrent à tout jamais sa physionomie et lui donnèrent un cachet sans
précédent. Dans le même temps Elie Decazes usait de son influence pour
l’édification du pont de Libourne et dotait la ville de ses plus belles œuvres
muséales…
De
la morsure de la Révolution, non seulement Libourne ne gardait aucune trace
mais elle resplendissait d’un nouveau feu.
A l’ombre de l’église Saint-Jean-Baptiste, la Miséricorde de Libourne
En
1850, près d’une église Saint Jean flambant neuve, la Bonne Mère Yon trouva la
somme providentielle lui permettant de faire construire une chapelle à côté des
petites échoppes qu’elle avait achetées en quittant l’hôpital Saint James. Ce
dernier devenu trop étroit pour ses
pensionnaires et les directrices qu’elle avait formées fut rendu à la ville.
Cette aide providentielle lui avait été offerte par Mademoiselle Aimée
Largeteau, fille de notables libournais, qui souhaitait entrer à son tour à la Miséricorde de Libourne pour assister
Mademoiselle Yon. Cette arrivée faisait suite aux supplications de la Bonne
Mère Yon d’obtenir une aide pour son œuvre qui prenait de plus en plus
d’envergure et ruinait peu à peu sa santé. C’était une grâce du ciel. Non
seulement Aimée Largeteau l’aida de sa fortune mais en plus elle allait devenir
la future Bonne Mère sous le nom de Sœur Saint André. Ainsi la place Saint Jean
prenait-elle peu à peu des doux airs de place Sainte Eulalie à Bordeaux avec
son couvent de la Miséricorde à
l’ombre de l’église paroissiale et la brise de l’esprit Lamourous-Chaminade qui
planait sur le nouveau duo formé par la Bonne Mère Yon et le père Charriez.
Les mains bienfaisantes de Dieu
De l’association catholique à la congrégation religieuse
Face
à l’ampleur que prenait la Miséricorde
de Bordeaux et devant l’intérêt que lui portait les futures fondatrices de
Cahors et de Laval ainsi qu’Elisabeth Yon, la Bonne Mère de Lamourous, qui
souhaitait garder l’esprit de sa fondation intact, sous l’impulsion de
l’archevêque de Bordeaux, se décida à écrire une Règle. Voyant le succès des
autres maisons, elle accepta de leur servir d’exemple mais ce n’est après sa
mort que la Miséricorde devint
officiellement une congrégation religieuse et que les maisons de Libourne,
Cahors et Laval lui furent rattachées. Ainsi lorsqu’Elisabeth Yon fit sa
profession pouvait-on lire : « ce n’est pas une religieuse de la
Miséricorde qui est devenue fondatrice, c’est une fondatrice qui est devenue
religieuse de la Miséricorde ! ».
Ce
nouvel état fut salutaire à la Bonne Mère Yon qui avait failli plusieurs fois
baisser les bras. La règle de Marie-Thérèse de Lamourous était stricte :
aucun revenu, seul l’argent de la providence devait être accepté. La
« pauvre Bonne Mère » de Libourne, comme l’appelait ses sœurs face
aux difficultés qu’elle rencontrait régulièrement, passait ses journées et ses
soirées à griffonner des papiers de chiffres et de notes. Les sommes qu’elle
inscrivait sur des revers d’enveloppes ou des brouillons de lettres démontre
aujourd’hui l’inlassable générosité des libournais pour la Miséricorde de
Libourne.
L’aide de la Vierge Marie
Notre Dame de Condat |
Mademoiselle Yon priait particulièrement Notre Dame de Condat pour laquelle elle avait peint elle-même un ex-voto (accroché aujourd'hui dans la sacristie) en remerciement d'une grâce obtenue.
Dans la chapelle de la Miséricorde, elle avait installé une piéta très ancienne, ayant appartenue aux cordeliers, qu'elle vénérait et qu'elle priait régulièrement. C'est près de cette statue, réputée miraculeuse, qu'elle demanda à être enterrée après sa mort.
Les filles de la Miséricorde
Les laissées pour compte
Marie-Madeleine, Eglise Saint-Jean ©NJ |
C’est
l’amour qui les aidait à sortir de la violence dans laquelle elles avait
grandit et évolué. Les jeunes femmes n’étaient ni jugées ni condamnées, elles
étaient entourées d’attention et de soins, nourries et logées et accompagnées
dans l’apprentissage d’un futur métier.
Une vie de pénitentes
Bien
sûr, la contrepartie était grande. Elles devaient vouloir rompre définitivement
avec leur ancienne profession et gagner leur vie en travaillant honnêtement. C’est
ainsi que la Bonne Mère Yon, à l’instar de la Bonne Mère de Lamourous avaient
installé dans la Maison une blanchisserie, un atelier de couture et de
confection de chaussures, une grande cuisine afin de pourvoir à tous travaux
qu’on leur demanderait, que ce soit la ville, des collectivités ou des
particuliers. Pendant longtemps elles aidèrent la Maison Mère à confectionner
des cigares dont la consommation était en forte hausse avec l’implantation des
garnisons dans les villes. On dit même que les filles de la Miséricorde sont à
l’origine de la confection des canelés bordelais !
Ora et labora
Autour
des heures de travail, il y avait aussi les heures de prière. Les pensionnaires
avaient fait le choix de rompre avec leur milieu en revenant à l’amour de Dieu
et au pardon. Chaque matin, elles se levaient à 5h30 pour aller prier et suivre
la messe. Puis le petit déjeuner était pris dans le silence. Celles qui
n’acceptaient pas ce rythme pouvaient repartir librement mais le nombre
croissant des résidentes (jusqu’à 400 à Bordeaux) prouve combien la douceur et
la bienveillance de leur Bonne Mère les aidaient à retrouver leur dignité dans
la foi, le pardon et l’amour de Dieu… sa miséricorde.
Bien
sûr, il y avait aussi les moments de détente, que les Bonnes Mères souhaitaient
nombreux et joyeux. Les filles étaient souvent jeunes et débordantes de joie
malgré leur souffrance, c’était leur manière d’exorciser leurs démons. Même si
la vie était rude, elle était belle : la propreté, les jardins potagers,
les jardinets d’agrément, la qualité des objets confectionnés, tout contribuait
à leur fierté et leur courage d’avoir changé de vie.
Le
respect qu’elles se vouaient devait être total et si l’une ou l’autre y
dérogeait, la Bonne Mère, dans un sursaut d’autorité salutaire, y remédiait par
le renvoi de la coupable. La justice était de règle pour le bien être de
toutes.
La Miséricorde
aujourd’hui
D’Elisabeth Yon à Don Bosco
Le
16 septembre 1863, 27 ans et deux jours après Marie-Thérèse de Lamourous
s’éteignait la Bonne Mère Yon. Sa disparition fut célébrée en grande pompe dans
la ville de Libourne et une plaque fut gravée à son intention dans la chapelle
de la Miséricorde où l’on déposa son corps près de la piéta qu’elle aimait
tant. C’est La Bonne Mère Saint André, Aimée Largeteau, qui prit sa suite.
Au
fil des années, la congrégation évolua, séparant peu à peu sa branche
religieuse de sa branche laïque, comme celle de Libourne. En voici les grands
moments :
1837 :
Création de l’œuvre de la Miséricorde
de Libourne pour les femmes prostituées
1937 :
Ouverture d’une blanchisserie
1974 :
Création de la Maison d’enfants à caractère social
1976 :
Création d’un foyer d’accueil spécialisé accueillant 25 femmes majeures en
grande difficulté sociale, susceptibles d’une réinsertion dans la vie ordinaire
1978 :
Création de la Structure d’Accueil Mère/Enfant (4 places)
1988 :
Création du foyer de Vie pour 25 femmes handicapées mentales
1991 :
Extension de la Structure d’Accueil Mère/Enfant (10 places)
2006 :
Création du Service d’Accompagnement à la Vie Sociale, concernant 30 personnes
handicapées, capables de vivre en appartement, et de travailler soit en milieu
protégé, soit en milieu ordinaire
2008 :
Naissance du Foyer Occupationnel Elisabeth Yon, de la fusion entre le foyer
spécialisé et le foyer de vie. Début de
la mixité des résidents.
La Miséricorde, 50 rue Lamothe à Libourne © NJ |
La Chapelle de la Miséricorde, 48 rue Lamothe à Libourne |
A Libourne et au Monde…
En
2014, la Miséricorde de Libourne a perdu
son nom de fondation fusionnant avec d’autres institutions qui œuvrent dans le
domaine social et médico social pour devenir l’Institut Don Bosco. Elle
comprend trois grands axes : le Foyer Occupationnel Elisabeth Yon, le
Service d’Accueil Mère/Enfant et le service d’Accompagnement à la Vie Sociale.
La
laïcité de la Maison de la Miséricorde
de Libourne est désormais totalement établie mais elle reste étroitement liée à
l’œuvre de la Miséricorde qui l’a
créée. Les dernières sœurs se sont retirées il y a une quinzaine d’années pour
rejoindre la branche religieuse de la congrégation établie au Pian Médoc dans
la propriété familiale de Marie-Thérèse de Lamourous. C’est là, au cœur de la
chapelle que se trouve son tombeau, juste sous le tableau de Jésus
Miséricordieux peint à la demande de Sainte Faustine.
La tombe de MT de Lamourous |
En 1848, la comtesse Ostrowska, désireuse de fonder des Maisons de Miséricorde en Pologne avait usé de son influence pour créer celles de Cracovie et de Varsovie. Un siècle plus tard Jésus Miséricordieux apparaissait dans l’une de ses maisons à Sainte Faustine demandant que son image et son message soient adressés au monde entier…
Or
sur la plaque mortuaire de la Bonne Mère Yon, peut-on lire la même phrase du
Livre des Proverbes que sur la tombe de Marie-Thérèse de Lamourous :
« La mémoire du
juste est un parfum qui s’exhale dans l’avenir ».