mercredi 3 février 2016

La Miséricorde de Libourne (2)


La Miséricorde de Libourne
Maison de Charité fondée par Elisabeth Yon



Depuis 180 ans, la Miséricorde de Libourne s'est consacrée aux femmes dans la détresse (prostituées, femmes battues, femmes caractérielles) avant de s'étendre aux personnes déficientes mentales. Le charisme des accompagnants (religieuses puis personnel encadrant) est resté le même: accompagnement, aide à la réinsertion dans un esprit de liberté, de dignité et d'amour. Découvrez ce lieu exceptionnel, qui a traversé près de deux siècles, vu renaître Libourne de ses cendres après la Révolution Française et connu une mutation réussie entre ses fondements originels et sa réalité d'aujourd'hui.

(Partie II)


La première pensionnaire libournaise

A la mort de Marie-Thérèse de Lamourous, le 16 septembre 1836, la ville de Bordeaux tout entière pleura sa Bonne Mère de la Miséricorde.  Il faut dire que son œuvre et l’esprit de cette œuvre étaient totalement novateurs à l’époque et allaient à l’encontre des maisons de corrections ou autres prisons dans lesquelles on enfermait les femmes dites de mauvaise vie.
A la Miséricorde les mots d’ordre étaient liberté, dignité et respect. Seules les femmes désireuses de sortir de l’enfer de la prostitution pouvaient y entrer, libres d’en sortir à tout moment ou d’y rester pour participer à leur tour à aider d’autres femmes en détresse.
La supérieure, qu’on appelait la Bonne Mère selon le souhait de Marie-Thérèse, était respectée non pour son autorité mais pour le charisme de bonté et de bienveillance qu’elle possédait, ce même charisme qui devait caractériser toutes les supérieures de la Miséricorde qui lui succéderaient.

La première fut sa nièce, la Bonne Mère Laure, qui, sachant les intentions d’Elisabeth Yon, l’invita à venir faire un stage d’une semaine à la Miséricorde de Bordeaux. Le 25 janvier 1837, elle lui envoya une jeune pensionnaire, première pierre à l’édifice libournais.

L’hôpital Saint-James

Il ne leur restait plus qu’à s’installer. Dans la nuit froide du 2 février 1837, telles des nouvelles Thérèse d’Avila, Elisabeth Yon et la jeune femme prirent possession de leurs nouveaux locaux, faisant naître officiellement la Miséricorde de Libourne. La mécène envoyée par la Providence avait loué pour six mois une partie de l’ancien hôpital Saint-James, aujourd’hui Temple protestant, comprenant la chapelle et quelques dépendances.


L'hôpital Saint James (Temple Protestant) © NJ

Nul début, sauf celui de la Maison bordelaise peut-être, ne fut plus difficile. Pour toute nourriture, les deux femmes ne possédaient qu’un sac de farine, un sac de pommes de terre et un morceau de lard. Comme matériel ? Un lit unique, dont le matelas servit de couchage à l’une et de paillasse à l’autre. Comme argent ? Six francs en poche, pas plus, c’était la règle établie par la Bonne Mère de Lamourous.

Le bâtiment était si effrayant de nudité que la pauvre jeune pensionnaire se mit à hurler en pleine nuit rêvant que Mademoiselle Yon l’avait entraînée ici pour la tuer ! Elle alla réveiller la Bonne Mère qui dormait dans la chambre voisine pour lui raconter son horrible cauchemar.

Elisabeth, nota dans ses chroniques que ce fut l’un des rares moments drôle de l’histoire de la fondation de la Miséricorde de Libourne, qui par la suite, allait s’avérer bien ardue.


Le nouveau visage de Libourne


La reconstruction postrévolutionnaire




Elisabeth était toujours sous la direction de l’abbé Charriez, pour la plus grande joie des libournais qui allaient découvrir leur ville transformée grâce à son action dans la paroisse combinée aux largesses du duc Decazes. A la mort de son prédécesseur, le père Rouquet, de noble condition par son père greffier au Parlement, l’abbé Charriez, avait hérité de toute sa fortune. Cette dernière n’avait d’égale que la bonne utilisation qu’il avait l’intention d’en faire et qu’avait pressentie le père Rouquet : le jeune Charriez n’avait-il pas déjà fait beaucoup pour Libourne en dirigeant la Congrégation de l’Immaculée Conception ? Monseigneur d’Aviau ne l’avait-il pas complimenté pour son œuvre en venant lui-même à Libourne ?
Tout cela n’était que le début d’une grande aventure qui allait transformer la ville dans ses fondements et dans ses fondations pendant près de trente ans.
Il commença par céder sans indemnités l’appartement qu’il avait acheté aux Récollets quand la ville voulut y construire un hôpital privé. Puis il fit construire une petite maison paroissiale, une école pour les enfants pauvres et un orphelinat. Prêtre zélé et passionné, il fut l’instigateur de la Société des Amis Chrétiens et de la Société Saint Vincent de Paul. Il institua aussi le Carmel de Libourne et rédigea un ouvrage d’Exercices spirituels pour les Carmélites, toujours en usage. Et bien sûr, c’est sous son impulsion que fut créée la Miséricorde de Libourne sous la houlette d’Elisabeth Yon. Mais sa plus grande œuvre fut celle de la restauration de l’église Saint-Jean-Baptiste qui menaçait ruine au sortir de la Révolution Française. Les travaux colossaux qu’il fit entreprendre changèrent à tout jamais sa physionomie et lui donnèrent un cachet sans précédent. Dans le même temps Elie Decazes usait de son influence pour l’édification du pont de Libourne et dotait la ville de ses plus belles œuvres muséales…
De la morsure de la Révolution, non seulement Libourne ne gardait aucune trace mais elle resplendissait d’un nouveau feu.

A l’ombre de l’église Saint-Jean-Baptiste, la Miséricorde de Libourne

En 1850, près d’une église Saint Jean flambant neuve, la Bonne Mère Yon trouva la somme providentielle lui permettant de faire construire une chapelle à côté des petites échoppes qu’elle avait achetées en quittant l’hôpital Saint James. Ce dernier devenu trop étroit pour  ses pensionnaires et les directrices qu’elle avait formées fut rendu à la ville. Cette aide providentielle lui avait été offerte par Mademoiselle Aimée Largeteau, fille de notables libournais, qui souhaitait entrer à son tour à la Miséricorde de Libourne pour assister Mademoiselle Yon. Cette arrivée faisait suite aux supplications de la Bonne Mère Yon d’obtenir une aide pour son œuvre qui prenait de plus en plus d’envergure et ruinait peu à peu sa santé. C’était une grâce du ciel. Non seulement Aimée Largeteau l’aida de sa fortune mais en plus elle allait devenir la future Bonne Mère sous le nom de Sœur Saint André. Ainsi la place Saint Jean prenait-elle peu à peu des doux airs de place Sainte Eulalie à Bordeaux avec son couvent de la Miséricorde à l’ombre de l’église paroissiale et la brise de l’esprit Lamourous-Chaminade qui planait sur le nouveau duo formé par la Bonne Mère Yon et le père Charriez.


Les mains bienfaisantes de Dieu


De l’association catholique à la congrégation religieuse

Face à l’ampleur que prenait la Miséricorde de Bordeaux et devant l’intérêt que lui portait les futures fondatrices de Cahors et de Laval ainsi qu’Elisabeth Yon, la Bonne Mère de Lamourous, qui souhaitait garder l’esprit de sa fondation intact, sous l’impulsion de l’archevêque de Bordeaux, se décida à écrire une Règle. Voyant le succès des autres maisons, elle accepta de leur servir d’exemple mais ce n’est après sa mort que la Miséricorde devint officiellement une congrégation religieuse et que les maisons de Libourne, Cahors et Laval lui furent rattachées. Ainsi lorsqu’Elisabeth Yon fit sa profession pouvait-on lire : « ce n’est pas une religieuse de la Miséricorde qui est devenue fondatrice, c’est une fondatrice qui est devenue religieuse de la Miséricorde ! ».


La Bonne Mère Yon

Ce nouvel état fut salutaire à la Bonne Mère Yon qui avait failli plusieurs fois baisser les bras. La règle de Marie-Thérèse de Lamourous était stricte : aucun revenu, seul l’argent de la providence devait être accepté. La « pauvre Bonne Mère » de Libourne, comme l’appelait ses sœurs face aux difficultés qu’elle rencontrait régulièrement, passait ses journées et ses soirées à griffonner des papiers de chiffres et de notes. Les sommes qu’elle inscrivait sur des revers d’enveloppes ou des brouillons de lettres démontre aujourd’hui l’inlassable générosité des libournais pour la Miséricorde de Libourne.

L’aide de la Vierge Marie

Notre Dame de Condat
Particulièrement dévote à la Vierge Marie, Mademoiselle Yon n’hésitait pas, dans de grands élans spirituels ou au plus profond de son sœur, à lui demander son aide par écrit, comme le faisait Marie-Thérèse de Lamourous et ses sœurs. Elle demandait des dons en argent bien sûr, afin de subvenir aux besoins de ses filles, mais ce qu’elle souhaitait avant tout c’était « d’inspirer aux habitants de la terre, pensées et gestes charitables ». Pour elle, les mécènes et les donateurs de la Miséricordes étaient des « organes de la Providence », les « mains bienfaisantes de Dieu » pour secourir toutes les misères.





Mademoiselle Yon priait particulièrement Notre Dame de Condat pour laquelle elle avait peint elle-même un ex-voto (accroché aujourd'hui dans la sacristie) en remerciement d'une grâce obtenue.


Dans la chapelle de la Miséricorde, elle avait installé une piéta très ancienne, ayant appartenue aux cordeliers, qu'elle vénérait et qu'elle priait régulièrement. C'est près de cette statue, réputée miraculeuse, qu'elle demanda à être enterrée après sa mort.


La piéta des Cordeliers:
Notre Dame de Recouvrance


Les filles de la Miséricorde



Les laissées pour compte

Marie-Madeleine, Eglise Saint-Jean ©NJ
Depuis la fondation de la Miséricorde par Marie-Thérèse de Lamourous, l’œuvre était dédiée aux femmes et aux jeunes filles prostituées qui souhaitaient sortir de leur vie sordide. Pour les Bonnes Mères, elles n’étaient ni des criminelles, ni des prisonnières comme c’était le cas dans beaucoup d’autres lieux, mais elles étaient leurs protégées, leurs Madeleine, leurs propres filles. Celles-ci venaient librement et partaient librement toujours sous le couvert de l’anonymat. Si bien que lorsqu’elles voulaient reprendre une vie normale, personne ne savait ce qu’elles avaient fait dans leur passé.
C’est l’amour qui les aidait à sortir de la violence dans laquelle elles avait grandit et évolué. Les jeunes femmes n’étaient ni jugées ni condamnées, elles étaient entourées d’attention et de soins, nourries et logées et accompagnées dans l’apprentissage d’un futur métier.

Une vie de pénitentes

Bien sûr, la contrepartie était grande. Elles devaient vouloir rompre définitivement avec leur ancienne profession et gagner leur vie en travaillant honnêtement. C’est ainsi que la Bonne Mère Yon, à l’instar de la Bonne Mère de Lamourous avaient installé dans la Maison une blanchisserie, un atelier de couture et de confection de chaussures, une grande cuisine afin de pourvoir à tous travaux qu’on leur demanderait, que ce soit la ville, des collectivités ou des particuliers. Pendant longtemps elles aidèrent la Maison Mère à confectionner des cigares dont la consommation était en forte hausse avec l’implantation des garnisons dans les villes. On dit même que les filles de la Miséricorde sont à l’origine de la confection des canelés bordelais !

Ora et labora

Autour des heures de travail, il y avait aussi les heures de prière. Les pensionnaires avaient fait le choix de rompre avec leur milieu en revenant à l’amour de Dieu et au pardon. Chaque matin, elles se levaient à 5h30 pour aller prier et suivre la messe. Puis le petit déjeuner était pris dans le silence. Celles qui n’acceptaient pas ce rythme pouvaient repartir librement mais le nombre croissant des résidentes (jusqu’à 400 à Bordeaux) prouve combien la douceur et la bienveillance de leur Bonne Mère les aidaient à retrouver leur dignité dans la foi, le pardon et l’amour de Dieu… sa miséricorde.

Bien sûr, il y avait aussi les moments de détente, que les Bonnes Mères souhaitaient nombreux et joyeux. Les filles étaient souvent jeunes et débordantes de joie malgré leur souffrance, c’était leur manière d’exorciser leurs démons. Même si la vie était rude, elle était belle : la propreté, les jardins potagers, les jardinets d’agrément, la qualité des objets confectionnés, tout contribuait à leur fierté et leur courage d’avoir changé de vie.

Le respect qu’elles se vouaient devait être total et si l’une ou l’autre y dérogeait, la Bonne Mère, dans un sursaut d’autorité salutaire, y remédiait par le renvoi de la coupable. La justice était de règle pour le bien être de toutes.


La Miséricorde aujourd’hui


D’Elisabeth Yon à Don Bosco

Le 16 septembre 1863, 27 ans et deux jours après Marie-Thérèse de Lamourous s’éteignait la Bonne Mère Yon. Sa disparition fut célébrée en grande pompe dans la ville de Libourne et une plaque fut gravée à son intention dans la chapelle de la Miséricorde où l’on déposa son corps près de la piéta qu’elle aimait tant. C’est La Bonne Mère Saint André, Aimée Largeteau, qui prit sa suite.
Au fil des années, la congrégation évolua, séparant peu à peu sa branche religieuse de sa branche laïque, comme celle de Libourne. En voici les grands moments :

1837 : Création de l’œuvre de la Miséricorde de Libourne pour les femmes prostituées
1937 : Ouverture d’une blanchisserie
1974 : Création de la Maison d’enfants à caractère social
1976 : Création d’un foyer d’accueil spécialisé accueillant 25 femmes majeures en grande difficulté sociale, susceptibles d’une réinsertion dans la vie ordinaire
1978 : Création de la Structure d’Accueil Mère/Enfant (4 places)
1988 : Création du foyer de Vie pour 25 femmes handicapées mentales
1991 : Extension de la Structure d’Accueil Mère/Enfant (10 places)
2006 : Création du Service d’Accompagnement à la Vie Sociale, concernant 30 personnes handicapées, capables de vivre en appartement, et de travailler soit en milieu protégé, soit en milieu ordinaire
2008 : Naissance du Foyer Occupationnel Elisabeth Yon, de la fusion entre le foyer spécialisé et le foyer de vie.  Début de la mixité des résidents.


La Miséricorde, 50 rue Lamothe à Libourne © NJ



La Chapelle de la Miséricorde, 48 rue Lamothe à Libourne
                           



A Libourne et au Monde…

En 2014, la Miséricorde  de Libourne a perdu son nom de fondation fusionnant avec d’autres institutions qui œuvrent dans le domaine social et médico social pour devenir l’Institut Don Bosco. Elle comprend trois grands axes : le Foyer Occupationnel Elisabeth Yon, le Service d’Accueil Mère/Enfant et le service d’Accompagnement à la Vie Sociale.

La laïcité de la Maison de la Miséricorde de Libourne est désormais totalement établie mais elle reste étroitement liée à l’œuvre de la Miséricorde qui l’a créée. Les dernières sœurs se sont retirées il y a une quinzaine d’années pour rejoindre la branche religieuse de la congrégation établie au Pian Médoc dans la propriété familiale de Marie-Thérèse de Lamourous. C’est là, au cœur de la chapelle que se trouve son tombeau, juste sous le tableau de Jésus Miséricordieux peint à la demande de Sainte Faustine.

La tombe de MT de Lamourous 




En 1848, la comtesse Ostrowska, désireuse de fonder des Maisons de Miséricorde en Pologne avait usé de son influence pour créer celles de Cracovie et de Varsovie. Un siècle plus tard Jésus Miséricordieux apparaissait dans l’une de ses maisons à Sainte Faustine demandant que son image et son message soient adressés au monde entier…

Or sur la plaque mortuaire de la Bonne Mère Yon, peut-on lire la même phrase du Livre des Proverbes que sur la tombe de Marie-Thérèse de Lamourous :

« La mémoire du juste est un parfum qui s’exhale dans l’avenir ».


Quel avenir !


La tombe d'Elisabeth Yon au pied de la Piéta


Camille Desveaux
Photos © Norbert Jung

mardi 2 février 2016

La Miséricorde de Libourne (1)


La Miséricorde de Libourne
Maison de Charité fondée par Elisabeth Yon

Depuis 180 ans, la Miséricorde de Libourne s'est consacrée aux femmes dans la détresse (prostituées, femmes battues, femmes caractérielles) avant de s'étendre aux personnes déficientes mentales. Le charisme des accompagnants (religieuses puis personnel encadrant) est resté le même: accompagnement, aide à la réinsertion dans un esprit de liberté, de dignité et d'amour. Découvrez ce lieu exceptionnel, qui a traversé près de deux siècles, vu renaître Libourne de ses cendres après la Révolution Française et connu une mutation réussie entre ses fondements originels et sa réalité d'aujourd'hui.

(Partie I)



Elisabeth YON


Le 2 février 1837, naissait à Libourne, sous l’impulsion d’Elisabeth Yon, l’œuvre de la Miséricorde, fondée trente années plus tôt à Bordeaux par Marie-Thérèse Charlotte de Lamourous à la demande de son directeur spirituel, le père Joseph Chaminade.
Maison de charité destinée à accueillir les prostituées désireuses de changer de vie, elle étendit peu à peu son action aux femmes et aux jeunes filles issues des milieux défavorisés avant de devenir le centre d’aide et d’accompagnement que nous connaissons aujourd’hui, situé 50 rue Lamothe à Libourne.
En 2017, la Miséricorde de Libourne fêtera ses 180 ans : 180 ans d’histoire, 180 ans de passion, 180 ans d’amour…
De Bordeaux à Libourne, de Cahors à Laval, de Cracovie à Varsovie, c’est au sein de cette fondation religieuse qu’entra Sœur Faustine le 1er août 1925. Cette même congrégation où le Christ, apporta à travers elle, le grand message de la miséricorde divine, comme un accomplissement à l’œuvre prophétique de la première supérieure fondatrice : Marie-Thérèse Charlotte de Lamourous.



La Miséricorde de Libourne © Norbert Jung (Libourne)


Si vous étiez venue, nous serions sauvées !

Rien ne prédestinait Marie-Thérèse de Lamourous à créer cette œuvre de charité. Profondément chrétienne, Marie-Thérèse s’était distinguée pendant la Révolution Française par son courage et sa détermination à aider les prêtres réfractaires à se cacher ou à fuir les persécutions. Au péril de sa vie et après plusieurs arrestations, elle brava les révolutionnaires, œuvrant à la restauration du catholicisme à Bordeaux. Issue d’une famille de la noblesse bordelaise, elle dut s’exiler avec son père dans leur maison du Pian Médoc où elle continua son action de résistance chrétienne face à la folie révolutionnaire.

En 1800, le calme revenu,  le Père Chaminade, son directeur spirituel, souhaitait lui proposer la direction de l’œuvre qu’il venait de créer, la Congrégation de l’Immaculée Conception, intimement persuadé que le salut de la France viendrait de la Vierge Marie.

Marie-Thérèse de Lamourous
Mais un événement inattendu bouleversa son projet : une noble dame qui recueillait chez elle les femmes voulant sortir de la prostitution, véritable fléau au XIXème siècle, se trouva dépassée par les demandes incessantes de jeunes personnes réclamant son aide. Elle appela au secours Marie-Thérèse qui refusa net, horrifiée par ces femmes qu’elle ne pouvait croiser dans la rue sans changer de trottoir. Pourtant une nuit elle fit un songe décisif : une de ces malheureuses qu’elle avait accepté de rencontrer chez son amie, la regardait en pleurant et lui disait : « si vous étiez venue, nous serions sauvées ! ».
Au beau milieu de la nuit, rassemblant ses affaires, elle prit la route de Bordeaux à dos de mule pour rejoindre son amie et le père Chaminade. Le soir venu, faisant mine de partir, elle leur dit : « Bonsoir, je reste ! ».

L’œuvre de la Miséricorde était née.



Mademoiselle YON



Elisabeth YON
Trente ans après la fondation de l’œuvre de la Miséricorde à Bordeaux qui s’était installée au couvent des Annonciades à Bordeaux (locaux actuels de la DRAC), la jeune Elisabeth Yon, profondément marquée par l’œuvre de Marie-Thérèse de Lamourous et par les fruits qu’elle essaimait autour d’elle, décida, après un long murissement spirituel de fonder une Maison de Miséricorde à Libourne. A l’instar de sa grande sœur bordelaise qui devint plus tard maison mère, l’œuvre de la Miséricorde de Libourne fut l’un des plus beaux contrats de l’histoire de la ville signé par Elisabeth Yon, qui contribua à la transformation de l’image de la ville dans la deuxième moitié du XIXème siècle et qui perdure encore aujourd’hui…



La jeunesse d’Elisabeth

Elisabeth Yon vit le jour au soir d’un 23 janvier 1786 à Libourne. Son père Etienne, originaire de Lesparre, y exerçait le métier de surveillant et d’agent du génie civil chargé de l’entretien du matériel des casernes (casernier). Les casernes avaient été fondées un quart de siècle plus tôt près de la porte de Saint-Emilion par l’architecte M.Toufaire, selon la volonté du duc de Richelieu. Les premières troupes, quant à elles, n’y furent logées qu’en 1773. C’est là que vivait la famille Yon.




Les casernes de Libourne



Par sa mère, Mme Murat, Elisabeth appartenait à une famille de commerçants aisés originaires du Cantal. Son oncle, l’abbé Murat fut un prêtre très estimé qui dirigea la cure de Pauillac pendant plus de trente ans. Homme d’une grande piété, il avait lui aussi bravé les foudres révolutionnaires devenant une véritable légende de son vivant. Né et mort à Libourne, plusieurs biographies lui sont consacrées éclairant l’enfance d’Elisabeth.

Malgré ce terreau fertile à l’éducation d’une jeune fille, milieu aisé et éclairé, Elisabeth ne profita guère d’une instruction soignée. Elle avait sept ans lorsque la Terreur éclata en France et l’accès à la culture lui fut fermé. Sa mère, modèle de charité, lui donna bien des leçons de piété mais la soif de connaissances d’Elisabeth restait intarissable. Elle put tout de même arpenter les bancs de l’école jusqu’à l’âge de onze ans, se distinguant des autres élèves par sa passion pour les sciences humaines, mais de santé fragile et suffisamment instruite selon sa mère, elle dut arrêter.


Elisabeth, face à son destin


Une jeunesse solitaire

De son manque d’instruction, Elisabeth décida d’en faire un atout, tremplin vers l’avenir. Elle s’attela seule à la tâche et, en autodidacte décidée, commença à dévorer les livres qu’elle avait en passion. Aucune difficulté ne l’arrêtait et après la lecture ce fut au tour de la géométrie de bénéficier de sa soif d’apprendre. Elle étudiait seule, ni les planches, ni les chiffres, ni les signes mystérieux ne la rebutaient, sa mémoire était immense. Elle devint très vite une infatigable et excellente élève.
Pourtant son cœur la taraudait. Dans ses chroniques, elle décrit elle-même, avec une grande lucidité,  la sensibilité démesurée qui la caractérisait. Son attachement aux personnes et aux choses lui jouait des tours et lui faisait éprouver plus durement les émotions et les peines.
Pendant trente ans, Elisabeth évolua dans son monde solitaire, en quête d’un bonheur spirituel et humain qu’elle ne trouvait pas.
Elle écrit : je vivais ma jeunesse « sans être dans le monde, toujours voulant le bien, l’estimant et ne le faisant pas ! ».


La rencontre avec l’abbé Charriez



Eglise Saint Sulpice à Paris
C’est alors qu’une rencontre bouleversa sa vie, celle de l’abbé Charriez. Le jeune homme arrivait du Grand-séminaire de Saint-Sulpice où il avait été ordonné prêtre avec son ami Pierre-Bienvenu Noailles avant de rejoindre Libourne en 1819. Jean-Jacques Charriez avait d’abord embrassé la carrière de militaire et atteint le haut rang de capitaine d’artillerie à l’âge de vingt et un ans avant d’être arrêté dans sa course au mérite par une conversion fulgurante à l’instar de son ami Pierre-Bienvenu. C’est dans le terreau spirituel sulpicien qu’ils vécurent ce bouleversement et firent leurs premières armes au service de la foi sous la direction du père Gabriel Mollevaut. Homme d’une grande sainteté, le père Mollevaut avait abandonné sa carrière de professeur émérite spécialiste de la langue grecque pour se consacrer aux jeunes, de plus en plus nombreux,  désireux de participer à la reconstruction spirituelle de la France après les ravages de la Révolution Française. Lacordaire ou Ozanam furent de ces élèves. Revenu à Bordeaux, Pierre-Bienvenu Noailles fonda l’association de la Sainte Famille et travailla de concert avec Marie-Thérèse de Lamourous en tant que curé de Sainte-Eulalie où se trouvait le couvent des Annonciades, siège de la Miséricorde.




Le cloître des Récollets (Médiathèque) de Libourne © Norbert Jung (Libourne)


L’abbé Charriez, quant à lui, prit la tête d’une Congrégation du père Chaminade à Libourne et s’installa dans une annexe de la chapelle des Récollets qu’il racheta. Il secondait le père Rouquet, curé de la paroisse, heureux du zèle et de la grande foi de son nouveau protégé. En tant que directeur de la Congrégation, le jeune abbé Charriez convainquit Elisabeth Yon, pieuse et fidèle paroissienne, d’intégrer la branche féminine de la Congrégation.

Et le « 20 décembre 1820, dit Elisabeth, j’entrai dans la Congrégation de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge ! ». L’abbé charriez, dont la devise était « Dieu Seul » devint son directeur spirituel.

Dieu Seul !


La fondation de la Congrégation de l’Immaculée Conception à Libourne avait été voulue par le père Chaminade lui-même, en accord avec l’abbé Rouquet, curé de Libourne, afin de rendre durables les fruits d’une Mission que ce dernier avait porté dans la paroisse en 1819. Dans l’esprit d’évangélisation que connaissait Bordeaux après la Révolution Française, il s’agissait de donner un nouveau souffle de foi aux jeunes laïcs qui épousaient les différents niveaux de la société. Certains pouvaient se lier par des vœux privés à la Congrégation tout en restant dans le monde. C’est ce que fit Elisabeth le 8 septembre 1824.

En intégrant la grande famille des Congréganistes, Elisabeth s’engouffrait à corps et à cœur dans l’institution du père Chaminade sur les pas de sa fille spirituelle Marie-Thérèse de Lamourous. Elle œuvrait pour la Congrégation mais s’imprégnait peu à peu de l’esprit de la Miséricorde.

Dix ans après son entrée dans la Congrégation elle comprit qu’elle devait elle-même établir une œuvre solide. Cette vie ne lui suffisait pas, son âme était troublée. Un appel intérieur la fit s’arrêter sur les paroles de l’Evangile : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît ».



L'entrée du Couvent des Annonciades (DRAC)



La Maison de la Miséricorde à Bordeaux
Elisabeth ne le savait pas encore mais cette phrase était la devise de Marie-Thérèse de Lamourous. Son intuition la guida jusqu’à la place Sainte Eulalie à Bordeaux où elle commença à fréquenter la Miséricorde et à voir ce qui s’y passait. Elisabeth était impressionnée par la vieille Bonne Mère que tout le monde considérait comme une sainte  et qui avait réussi à sauver des centaines de femmes de leur vie de perdition. Elle lui avait amenée une jeune fille, un jour, que la Bonne Mère malade avait bénie et elle était repartie bouleversée par le charisme et la bonté de la fondatrice.
Au cours d’une messe, Elisabeth reçut une sorte de révélation intérieure : être seule et réussir !

Alors elle demanda un signe à la Vierge Marie : si la volonté de Dieu est de créer une Miséricorde comme celle de Bordeaux, qu’elle lui envoie une personne qui voudra payer le loyer d’une maison destinée à cette œuvre. Après une neuvaine de prières qui se termina le 15 août, une jeune femme se présenta chez elle et lui dit : « Louez une maison, Mademoiselle Yon, je paierai ! ».

Sa décision était prise, elle créerait la Miséricorde de Libourne et aurait pour devise, Dieu Seul !




La suite bientôt...


Camille Desveaux
(©Il était une fois... la Miséricorde de Libourne" Exposition du 25 au 30 janvier 2016 à la Miséricorde de Libourne)

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