mardi 16 février 2021

LE VIGNOBLE LIBOURNAIS


Episode 4: Du Lys au Genêt




La Chapelle de Condat à Libourne


La reine Aliénor


🌿 Il ne fallut que peu de temps aux ducs d’Aquitaine pour reprendre le flambeau des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et promouvoir la vigne sur le sol libournais, déclenchant un véritable raz-de-marée du négoce viti-vinicole au Moyen Age.
Cet intérêt suscité par l’arrière-grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, le très pieux duc Guillaume VIII, fut en grande partie lié à la Sainte Epine de Charlemagne mais aussi à la situation exceptionnelle de la ville de Condatis, véritable carrefour de routes et de marchandises au cœur d’un arrière-pays florissant. C’est à cette période que la zone agricole péri-urbaine s’élargit en une vaste couronne englobant les communes de Lalande, Néac, Pomerol et Saint-Emilion.

🌿 Dans une presqu’île au sud de Condatis (premier nom de Libourne), aujourd’hui appelée presqu’île de Condat, Guillaume VIII aurait fait édifier un manoir, probablement destiné à la chasse, dans lequel il séjournait régulièrement. Le choix de la presqu’île n’était pas anodin, le lieu était sacré : ancienne forêt des druides, dotée de nombreuses sources, dont celle de la grande déesse Divona, puis sanctuaire chrétien dédié à la Vierge Marie dès le premier siècle après Jésus-Christ, la presqu’île possédait un caractère mystique et une situation géographique stratégique qui n’échappa pas au duc, fondateur des églises Sainte-Croix, Saint-Seurin et Saint-André de Bordeaux. En effet, en construisant un manoir à l’entrée du grand méandre de la Dordogne, on pouvait contrôler les entrées et les sorties des marchandises par voie fluviale, en amont de la future bastide de Libourne. Le lieu était arboré et giboyeux, propice à la détente et au repos, loin de la grande ville de Bordeaux et du sombre palais de l’Ombrière.
Après son mariage avec le roi de France Louis VII, la duchesse Aliénor fut sacrée reine des Francs à Bourges, englobant dans son royal giron le duché d’Aquitaine. Cet événement eut un grand retentissement sur le manoir de Condat qui passa du rang de domaine de chasse des ducs d’Aquitaine à celui de résidence royale de France. La Cour y venait régulièrement, pour la plus grande joie des habitants de Condatis.








🌿 Après l’échec et l’annulation de son premier mariage, Aliénor épousa en secondes noces le futur roi d’Angleterre Henri Plantagenêt. Deux ans plus tard ils étaient couronnés souverains d’Angleterre. Au-delà du passage de l’Aquitaine dans l’empire Plantagenêt, réduisant la France à sa moitié orientale, l’événement fut une fois de plus crucial pour les habitants de Condatis qui firent allégeance à leur chère duchesse devenue reine pour la deuxième fois. France ou Angleterre, peu leur importait. Les Libournais étaient des marins et des commerçants dans l’âme. Cette ouverture sur la mer promettait un bel avenir au commerce et aux échanges internationaux. Selon la tradition, le manoir de Condat devint résidence royale d’Angleterre, lieu de villégiature d’Aliénor, de Henri II et de leur célèbre progéniture : Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre (entre autres), tous deux princes d’Aquitaine et rois d’Angleterre.
Très pieuse, la reine Aliénor fit agrandir la chapelle castrale qui devint l’un des plus grands sanctuaires mariaux (dédiés à la Vierge Marie) d’Aquitaine : la chapelle de Condat. Les pèlerins s’y pressaient par centaines, désireux, à leur tour, de découvrir l’Epine rapportée par Charlemagne. Leur présence nécessitait des soins constants et un approvisionnement en vin conséquent afin de pourvoir à leurs besoins.


Le vin clar

🌿 L’arrivée des souverains anglais sur le sol libournais stimula la production viti-vinicole autour du port de Condatis. Fidèles sujets des suzerains, les Libournais monnayaient leur loyauté contre des privilèges fiscaux et commerciaux établissant un monopole, à l’instar de Bordeaux, sur la production et l’expédition des vins vers la Grande-Bretagne. Grands amateurs de claret, ils participèrent à sa commercialisation dans toute l’Europe du Nord. Le claret ou vin clar en gascon était élaboré à partir de raisins indifféremment noirs ou blancs foulés sans éraflage préalable. Après une courte fermentation, six jours tout au plus, il prenait une couleur légère, caractéristique de ce vin si prisé. Vieillissant mal, il devait être bu jeune, imposant aux négociants un rythme de transport cadencé. D’où l’intérêt pour le port de la future bastide de Libourne d’être le premier à pouvoir vendre son vin en acquérant un Privilège des vins qu’Aliénor d’aquitaine lui concéda en 1189. Ainsi toutes les paroisses productrices de l’arrière-pays libournais, dont Lalande et Néac, se tournèrent-elles vers le port du confluent pour exporter leur vin. Seul Saint-Emilion avait un débouché propre : le petit port de Pierrefitte en amont sur la Dordogne. Mais le Privilège des vins de Libourne le maintint en position secondaire.

🌿 Le grand commerce du claret gascon vers les îles britanniques et l’Europe du Nord fut l’un des plus importants de l’Occident médiéval. La fonction vivrière du vin et sa consommation quotidienne firent place à un commerce d’envergure internationale apportant de nouveaux revenus au marché local. Les citadins pouvaient s’enrichir en vendant directement le vin au détail à leur porte. Il était à la fois monnaie d’échange et objet de commerce.
Les archives anglaises liées au commerce du claret fournissent d’importants renseignements sur le nombre de commanditaires et d’armateurs au départ des ports de Bordeaux et de Libourne. De véritables flottes commerciales, composées de plusieurs dizaines de nefs, faisaient régulièrement le trajet entre l’Aquitaine et l’Angleterre. Ce commerce, qui générait d’énormes revenus, constituait un profit conséquent pour la commune. Les bateaux chargés de lest, principalement des pierres et galets des côtes bretonnes, déchargeaient leur cargaison en amont du confluent, sur les rives de l’Isle, avant de repartir les cales pleines de vin. Le roi Jean Sans Terre, qui aimait particulièrement sa résidence de Condatis, participa activement à ce grand mouvement commercial en concédant à la ville de nombreux privilèges qui s’ajoutèrent à ceux de la reine Aliénor.








Camille
👉 Pour en savoir plus :
"Lalande de Pomerol, histoire d'une appellation"
Texte de Camille Desveaux et photos de Quentin Salinier, aux Editions Sud-Ouest, dans toutes les librairies!

Libourne, la Confluente          Toute l’histoire de Libourne est placée sous le signe de la confluence.  Confluence de r...