Roger de Leyburn,
Père de Libourne
Au Moyen
Age, les fondateurs des bastides, ces villes nouvelles à l’architecture si
particulière, furent presque tous des personnages de haut rang, parmi lesquels
les rois de France et d’Angleterre, des comtes, de grands dignitaires, des
seigneurs locaux ou des personnalités ecclésiastiques.
Depuis la
naissance de Cordes en 1222 sous l’impulsion du comte de Toulouse Raymond VII
jusqu’à l’érection de Labastide d’Anjou en 1373, près de 400 bastides virent le
jour sur l’ensemble du territoire méridional français.
Le
mouvement communal était né.
Ce vaste
élan urbanistique visait à la fois à regrouper les populations, favoriser le
dynamisme économique et créer de nouveaux types de villes et villages.
Née de la
volonté du roi d’Angleterre Henri III (qui résidait régulièrement au château de
Condat près de la chapelle éponyme), l’édification de la bastide de Libourne
fut confiée au chevalier Roger de Leyburn
qui lui laissa son nom, fait rarissime dans l’histoire des
bastides !
La bastide de Libourne et le confluent
(Cl. Ville de Libourne)
En effet moins d’une dizaine d’entre-elles eurent le privilège de porter l’appellation de leur fondateur, les autres furent nommées en fonction de leur caractère royal, leur situation géographique, d’un village existant au préalable, de villes étrangères visitées par les fondateurs, de toponymes, etc…
Ainsi
connaît-on la bastide de Beaumarchés fondée par Eustache de Beaumarchès, celle
de Marciac fondée par Guichard de Marzé, celle de Créon fondée par Amaury de
Créon ou encore celle d’Hastingues fondée par John Hastings… En y ajoutant
Libourne, la liste est courte, inversement proportionnelle au prestige de leurs
fondateurs.
C’est cette
unicité, garante de la notoriété de ces bastides qui m’a donné l’envie de mieux
connaître Sir Roger de Leybourne (ou Leyburn), dont la biographie française
restait fort brève. Grâce à la collaboration de Bob Hulph, maire de la petite
commune de Leybourne dans le Kent, ancienne seigneurie natale de Roger de Leyburn,
j’ai pu découvrir l’histoire atypique d’un homme d’exception dont le destin
restera à jamais lié à celui de la belle bastide de Libourne…
Roger de Leybourne
De l’homme de guerre à l’homme de
paix
(Partie I)
Le
chevalier de Leybourne fut l’un des personnages les plus célèbres du Royaume
d’Angleterre au Moyen Age.
Fidèle ami
du prince Edward, fils du roi Henri III d’Angleterre, il s’illustra aussi bien
dans l’art de la chevalerie et de la guerre que dans celui de la politique.
Nommé
Gardien (Shérif) des châteaux de Douvres, Rochester, Nottingham et de la Tour
de Londres, Seigneur des Cinq Ports[1]
et haut Shérif du Kent, il contribua à la pacification de l’Angleterre après la
seconde guerre des barons et sauva la vie du roi lors de la bataille d’Evesham
où mourut le plus célèbre ennemi de la Couronne, Simon de Montfort.
Cet acte de
bravoure lui valut de grands honneurs et sa consécration de Lieutenant du Roi,
le 24 novembre 1269, titre le plus élevé du royaume, faisant de lui l’égal du
souverain anglais en Aquitaine.
Qui était
réellement ce chevalier valeureux ? Sous la légende dorée se cache un homme
belliqueux et arrogant qui n’eut de cesse de défendre ses origines nobles.
Jeune homme au tempérament de feu, il fut, dans les premiers temps, un ardent
défenseur de la noblesse anglaise poursuivant le combat de son père contre le roi
Jean Sans Terre lors de la première guerre des barons. Ses méthodes excessives
et brutales lui valurent la réputation de « plus turbulent des turbulents
barons »[2]
et la confiscation régulière de ses terres et domaines.
Edouard Ier |
Mais
l’amitié indéfectible qu’il voua au Prince Edouard, futur Edouard Ier
d’Angleterre, finit par sceller sa fidélité au roi d’Angleterre. Après avoir
demandé publiquement pardon pour ses actes passés, il n’aspira plus qu’à œuvrer
pour la paix du royaume. Du jeune chevalier pugnace, il ne restait que la
bravoure, celle d’un homme avisé et pacifique, désireux d’assurer l’unité de
l’Angleterre et de pérenniser la postérité de son nom en devenant le père et le
parrain de la plus grande et convoitée bastide d’Aquitaine : Libourne.
I Un jeune
héritier (1215-1252)
Le manoir de Leybourne
Huile sur toile de George Lambert, 1737
C’est dans
le comté du Kent, au sud-est de Londres, que naquit Roger de Leybourne, fils de
Roger I[3] de Leybourne et de Eleanore de Thurnham en 1215 dans
le manoir familial.
Ce manoir,
que l’on peut encore admirer aujourd’hui malgré les nombreuses transformations
subies au cours des siècles, fut pendant longtemps, l’une des plus fastueuses
demeures du comté du Kent, érigé au temps de Guillaume le Conquérant par son
demi-frère Odon, Evêque de Bayeux. Il est cité pour la première fois dans le
livre du grand recensement de l’Angleterre commandé par Guillaume en 1066, Le Domesday Book, sous le nom de manoir de
Leleburn.
Le château se dressait sur les terres d’un village, appelé Lillieburn au Xème siècle, du nom de la petite rivière qui le traversait en direction de l’Ecosse. Lorsque l’Evêque Odon, fut nommé comte du Kent et seigneur de Lillieburn, il fit construire un premier château, vraisemblablement en bois, dans lequel il résidait régulièrement. Malheureusement son ambition d’accéder à la papauté au mépris du pape en place, le fit tomber en disgrâce. Le roi le déshérita et offrit le château à Sir William d’Arsick.
En 1166 le
manoir fut racheté par Philip de Leyburn qui vivait dans le Yorkshire depuis
que sa famille s’y était installée à la même époque. Philip était un descendant
du chevalier de Laibron, originaire de Bretagne et ami de Guillaume le
Conquérant, qui avait reçu les terres de ce comté en remerciement de ses bons et
loyaux services. Le nom de Laibron prit la forme anglaise de Leyborn puis
Leyburn. Cette petite ville d’un peu plus de 2000 habitants existe toujours
dans le Yorkshire.
Lors d’un
déplacement dans le Kent, Sir Philip de Leyburn décida de s’installer dans le
village de Lillieburn à la consonance si proche de celle de sa famille et de
racheter le château. Les deux noms fusionnèrent pour donner la forme définitive
de Leybourne.
Sir Philip, arrière grand-père de Roger de Leybourne, devint le premier baron[4] de Leybourne sous le nom de Sir Philip Baron de Leybourne à la fin du XIIème siècle. C’est lui qui donna au château son allure si singulière dont il reste encore des vestiges aujourd’hui à côté de la partie moderne du manoir.
L'église Saint Pierre et Saint Paul de Leybourne |
Sir Philip, arrière grand-père de Roger de Leybourne, devint le premier baron[4] de Leybourne sous le nom de Sir Philip Baron de Leybourne à la fin du XIIème siècle. C’est lui qui donna au château son allure si singulière dont il reste encore des vestiges aujourd’hui à côté de la partie moderne du manoir.
Les ruines du château de Leybourne et le manoir actuel
A la mort de Sir Philip de Leybourne, son fils, Robert, hérita du manoir et des titres de son père. Il devint Sir Robert of Leybourne, Lord of Bures, fidèle serviteur du roi Richard Cœur de Lion. Il l’aurait accompagné en Terre Sainte lors de la troisième croisade et aurait assisté à la bataille de Saint Jean d’Acre. A son retour, il épousa une riche héritière du Kent, Margaret, qui donna naissance à Sir Roger I de Leybourne en 1193, le père du fondateur de la bastide de Libourne.
Roger
I de
Leybourne
Lorsque le
petit Roger vit le jour en 1215, son père Roger I Baron de Leybourne s’était allié avec d’autres
barons de la noblesse anglaise contre le nouveau roi d’Angleterre : le
célèbre et non moins méprisé Jean sans Terre.
Jean Sans Terre |
Le père de
Roger de Leybourne, comme de nombreux barons anglais, représentants de la
noblesse anglaise, n’appréciait pas ce roi dont les complots incessants contre
le roi de France, Philippe II, l’éloignait de la
gouvernance de son pays. Le 15 juin 1215, ils contraignirent le roi Jean sans
Terre à signer la Grande Charte (Magna Carta) visant à limiter ses propres
prérogatives et à donner aux représentants de la noblesse et du clergé, un
droit de contrôle sur les finances.
Devant le
refus du roi d’appliquer les clauses de la Grande Charte, le père de Roger de
Leybourne s’associa à une quarantaine d’autres barons, les plus virulents et
les plus désireux d’en découdre avec le roi pour former une armée qu’ils
appelèrent l’Armée de Dieu. Ils réunirent leurs troupes et assiégèrent le
château de Rochester situé à une quinzaine de kilomètres de Leybourne.
Rapidement la situation dégénéra en véritable guerre civile, appelée première guerre
des Barons. Le roi lança contre les rebelles une armée de mercenaires et
d’alliés pour tenter de reprendre Rochester. Un chroniqueur décrit le terrible
siège comme « l’une des plus grandes opérations de l’époque en Angleterre ».
Mais au mois d’octobre 1216, le roi décéda des suites d’une grave maladie, mettant un terme au conflit. Les barons, calmés, rallièrent son fils, le jeune Henri III alors âgé de neuf ans.
Le siège de Rochester 1215
Mais au mois d’octobre 1216, le roi décéda des suites d’une grave maladie, mettant un terme au conflit. Les barons, calmés, rallièrent son fils, le jeune Henri III alors âgé de neuf ans.
Bientôt la suite :
La jeunesse de
Roger de Leyburn