lundi 11 mai 2020

Les Pierres Précieuses de Libourne








     Les Pierres Précieuses de Libourne   
  Le 29 septembre prochain, vous le savez peut-être, la bastide fêtera ses 750 ans. 
Cette célébration sera l’occasion pour tous, de nous retrouver autour de Roger de Leyburn, illustre parrain de notre bastide, en compagnie de Bob Ulph, maire de Leybourne, près de Londres, et des propriétaires du château natal du chevalier anglais. 

Cette fête sera aussi pour moi, la consécration de 30 années de recherches et de travaux sur l’histoire de la jolie bastide du confluent, l’aboutissement d’un long parcours de mise en lumière historique et patrimoniale que je garderai à jamais dans mon cœur.

          Je vous propose de revenir chaque semaine sur ces pierres précieuses qui ont fait ou font encore la beauté de Libourne, dans une série exceptionnelle, reprenant de manière originale les grands lieux de la bastide, leur origine et les personnages qui ont gravité autour d’eux. Je vous invite à un grand voyage dans le temps, un retour aux sources, qui nous réconciliera avec nos origines pour mieux nous ancrer dans la beauté de notre présent, loin des vicissitudes et des incertitudes temporelles…
          Alors sans plus attendre, partons à la découverte de Libourne, qui à l’origine, s’appelait Kendatten en celte, Condatis en latin, ce qui veut dire : confluent !




Episode 1 : 



Condat, Terre Sacrée  








Au cœur d’un grand méandre, caprice de la Dordogne, se dresse une chapelle sortie du fond des âges, joyau de pierres aux murs dorés dont la silhouette frêle semble rejoindre le ciel. Il suffit d’un regard pour se sentir léger, emporté par le flot des souvenirs du temps. De ce voyage là, on ne revient jamais tout à fait comme avant, le cœur gonflé d’amour et l’œil étincelant.
Alors suivez-moi, je vous emmène à la rencontre de ce lieu exceptionnel, monument emblématique et sacré qui reste et restera toujours pour moi l’âme de Libourne, là où tout a commencé…

***



  
          Pendant plus de mille ans, Libourne s’est appelé Condat. Ce nom lui fut donné par les Celtes Bituriges lors de leur implantation en Aquitaine vers le IIème siècle avant Jésus-Christ. Contrairement à leur nom, les « rois du monde » ne s’illustrèrent pas par la force en s’installant dans la région mais développèrent au contraire une étonnante diplomatie et un grand sens du commerce. Strabon parlait d’eux comme d’un peuple à part, détaché du reste du continent, possédant une langue et des pratiques guerrières propres et un système social basé sur l’amitié. Pline l’ancien les nommait « les Bituriges libres surnommés Vivisques ». En quittant leur territoire  d’origine, la région de Bourges, Les Bituriges Vivisques s’étaient détachés des Bituriges Cubes et avaient adopté la nouvelle dénomination de vivisci. Ils étaient les déplacés, les transplantés, les vivants. Mais avant tout ils étaient libres. Toute leur vie semblait un témoignage de cette liberté, depuis leur génie commercial jusqu’à la vénération qu’il portait à la Déesse Divona, la grande déesse des eaux. Mais peut-être était-elle là la clef de leur succès, de leur « génie pacifique et marchand » : un culte de l’eau hors du commun qui leur fit préférer l’estuaire et ses deux fleuves nourriciers à toute autre région adoptive.


          Depuis l’embouchure de la Gironde jusqu’au Langonnais  sur la Garonne et au Libournais sur la Dordogne, l’Aquitaine prenait corps et avec elle son identité : le Pays des Eaux. Grâce aux Bituriges Vivisques, génies visionnaires ou commerçants talentueux, elle allait devenir la porte de l’océan, une terre d’avenir aux racines fluviales largement ancrées dans un sol fertile et prometteur.
Sur le long ruban sacré des rivières, naquirent des oppida (agglomérations fortifiées, oppidum au singulier) que les Bituriges Vivisques associaient toujours à un marché et à un sanctuaire. 




Le tertre de Fronsac surplombant le confluent 



Situé au confluent de l’Isle et de la Dordogne, le petit port de Condatis (du celte Kendatten voulant dire confluent), qu’ils venaient de créer, offrait la particularité de s’ouvrir sur les terres intérieures grâce à ses rivières et d’être protégé des arrivées maritimes par un immense tertre alluvionnaire naturel de soixante dix mètres de haut, le tertre de Fronsac. Ce tertre servit plus tard de socle au château de Charlemagne et acquit la réputation de « clef de défense de tout le nord du pays bordelais ».
De la même manière que Burdigala s’était parée du nom de son emplacement (crique boueuse), Condatis avait pris celui de son confluent, à la rencontre de l’Isle et de la Dordogne. Nom doublement sacré pour les celtes bituriges qui honoraient à la fois Divona, leur déesse des eaux et Condat, autre nom donné au dieu Mars, mi guerrier, mi magicien.



La source miraculeuse de Condat
(aujourd'hui privée)
          Il y avait à Condatis une source particulièrement vénérée qui jaillissait à quelques centaines de mètres de l’oppidum dans un lieu humide et boisé à l’entrée d’un grand méandre de la Dordogne. Ce méandre, que l’on nomme presqu’île tant il est resserré au niveau de son col, appartenait au territoire de Condatis, sur la rive droite de la Dordogne : c’était la presqu’île de Condatis, devenue au fil du temps presqu’île de Condat. Le quartier actuel de Condat qui s’étend en grande partie sur cette presqu’île est l’unique vestige de la plus ancienne appellation de Libourne.
Or, dans ce lieu cintré par les eaux, cette zone inondable que l’on nomme palus, sourdait une eau pure au cœur d’une végétation dense et boisée. Source divine par excellence, elle possédait déjà pour les Celtes, des vertus curatives particulières et servait de lieu de rassemblement et de célébrations druidiques.
La présence de la monumentale main levée de Pierrefite, ce bloc monolithe de cinq mètres de haut, située en bord de Dordogne à trois kilomètres en amont de la source, appuie cette hypothèse : seuls les druides possédaient la connaissance spirituelle, scientifique et astronomique pour déplacer des mégalithes de la taille de celui de Pierrefite, extrait des affleurements calcaires de Saint-Emilion. Les récentes recherches historiques et archéologiques sur les Celtes ont démontré que les pierres levées servaient à marquer l’emplacement de tombe, d’un lieu remarquable ou à délimiter un territoire.



A Pierrefite, l’immense main  tournée vers Saint-Emilion semble surtout indiquer un chemin spirituel où la terre  libournaise et le ciel ne font plus qu’un.
Le tumulus découvert près de la source de Condat s’érige comme une nouvelle preuve de la sacralité de ce lieu hors du commun. Pendant longtemps, on a cru que c’était un grand tombeau, soit d’origine celtique, soit d’origine médiévale mais les fouilles effectuées en 1940 par des archéologues libournais infirmèrent cette hypothèse : ici point d’ossements, dépouilles mortuaires ou autre sépulture funéraire, seuls quelques débris de poteries insignifiants. Insignifiants, pas tout à fait, car selon le professeur Michel Bourrières, spécialiste de la question, « qu’ils fussent ou non des tombeaux, les tumulus sont cependant considérés comme ayant été des lieux consacrés. »
Lorsqu’ils possédaient une grande dimension, ces tertres servaient de lieu de réunion pour les druides. Ainsi le tumulus de Condat n’était-il pas un tombeau mais peut-être un lieu d’assemblée des sages près de la source sacrée.




          Il n’est point besoin d’être un grand connaisseur de ces choses pour ressentir la charge des forces telluriques concentrées au dessus du menhir de Pierrefite et de la source de Condat. Même pour de simples visiteurs la sensation physique et émotionnelle est unique. On se sent transporté, soulevé de terre, happé par une puissance qui nous suspend entre ciel et terre comme des funambules de l’invisible.
Les druides possédaient cette science surnaturelle. Leur savoir était connu du monde entier, à tel point qu’Aristote les considérait comme les instituteurs de la Grèce. En effet, si l’on dégage la religion des druides des superstitions du peuple celte, il en ressort un monothéisme singulier représenté par une triade gauloise proche de la Trinité des chrétiens. Il s’agissait de Teutatès, le tout-puissant ; de Taran, la puissance néfaste ou le tonnerre et d’Esus, le bon maître. La multitude de divinités secondaires ou d’êtres supérieurs qui s’y associait s’explique par les subdivisions de leurs attributs qui se personnifièrent au fil du temps. Avec la triade, les druides croyaient en la Virgini Pariturae, la Vierge qui devait enfanter du Libérateur. Les Bituriges l’appelaient Diva ou Divona, la Divine, la Reine des Fées, survivance de la Terra Mata des hommes du Quaternaire. C’est Divona que l’on vénérait à Condat sur la terre mystique des druides.
Un siècle avant la naissance du Christ, le chef des druides regroupés dans la forêt des Carnutes, annonça comme une prophétie, la future délivrance de la Virgini Pariturae


          La déesse préférée des Bituriges vivisques, Divona, celle qu’ils considéraient comme la Déesse Mère, était matérialisée par l’eau des sources dont certaines, comme celle de Condat, lui étaient consacrées. L’une des plus somptueuses fontaines dédiée à Divona que l’Aquitaine n’ait jamais connue se situait à Burdigala, la grande cité marchande des Bituriges, le Bordeaux d’aujourd’hui. C’était un véritable temple dont la hauteur rivalisait avec la beauté architecturale. Lieu divin par excellence, les gens y venaient chaque jour par centaines, en procession ou individuellement, pour demander des grâce à la déesse. D’ailleurs, ce monument exceptionnel, décrit dans les chroniques comme le plus beau de la ville, portait le nom de Fontaine Divona.


Déesse des Eaux (Elisabeth Jérichau Bauman 1868)
Voici le portrait qu’en faisait le poète Ausone :


« Au milieu de la ville s’étend le lit d’un fleuve né d’une fontaine… quelle profondeur et quelle abondance ! Comme elle enfle ses eaux ! Quels larges et rapides torrents elle roule ! Elle ne s’épuise jamais pour les innombrables besoins du peuple… Salut, donc, fontaine à la source mystérieuse, sainte, bienfaisante, intarissable, cristalline, azurée, profonde, murmurante, limpide, ombragée. Salut, Génie de la Ville, toi qui nous verses un breuvage salutaire, toi, Divona, qui dans la langue des Gaulois signifie source mise au rang des Dieux ».

Une autre ville magnifiait la déesse Divona au point d’en prendre son nom : Divona Cadurca : Cahors. Les Cadurques, peuple celte voisin des Bituriges Vivisques établis sur le territoire de la haute Dordogne et du Lot, vouaient la même fascination à l’eau et à ses divinités tutélaires. Divona en était la reine.
La magnifique fontaine Divona de Bordeaux a aujourd’hui disparu, laissant la place à la ville moderne, mais de nombreux historiens s’accordent à la placer sur la Place Pey Berland où une inscription y figure désormais. 


                                                                       
                                                                 Camille







La semaine prochaine, la suite de notre série consacrée aux Pierres Précieuses de Libourne :
Episode 2, Le château de Condat 

Vous pouvez retrouver cette belle histoire dans mon ouvrage :
Il était une fois la Chapelle de Condat, âme de Libourne

En vente chez:
- Librairie Madison
www.librairie-madison.fr
- Librairie Acacia Formatlivre
- La Tabatière
- L’Office de Tourisme du Libournais
http://www.tourisme-libournais.com/

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