mercredi 25 mars 2015

Condat, Le Jour de l’Ange

  


Condat, Le Jour de l’Ange
  

Le 25 mars 



L'archange Gabriel aquarelle C. Desveaux



       La Divona des Celtes


       Pendant plus de mille ans Libourne s’est appelée Condat. Ce nom lui fut donné par les Celtes bituriges lors de leur implantation dans la région entre le IIIème et le IIème siècle avant Jésus Christ. A la différence des autres peuplades celtes de la Gaule, les Bituriges Vivisques possédaient un très fort attachement à l’eau et vouaient un culte particulier à la déesse Divona. A Bordeaux, ils dressèrent un temple en son honneur, la somptueuse fontaine Divona, qui fut, durant des siècles, le plus haut lieu sacré de la ville. Les romains, eux-mêmes vénéraient cette déesse des eaux qui se transforma rapidement en une déesse mère puissante, chantée par le poète Ausone.
      Pour les Bituriges Vivisques, les deux rivières nourricières de leur territoire, la Garonne et la Dordogne, étaient sacrées. Ils élevèrent, tout au long de leurs rives, aux endroits les plus dignes d’intérêt, des temples et des lieux de culte dédiés à la Déesse des Eaux. Au confluent de l’Isle et de la Dordogne, ils créèrent la première ville de Libourne : un oppidum  qu’ils nommèrent Condatis ou Condat[1], appellation celte du mot confluent.
       Il est presque certain que la fontaine de Condat située dans la palus éponyme existait déjà de leur vivant. Erigée à quelques encablures du menhir de Pierrefite, son eau sourdait de la terre au cœur d’un grand méandre de la Dordogne dans un cadre verdoyant assez éloigné du centre de l’oppidum (la ville fortifiée) pour que les druides puissent y célébrer, à l’écart des hommes, la déesse Divona.

       Les longues recherches effectuées pour l’écriture de mon prochain ouvrage sur l’histoire de la chapelle de Condat, tendent à prouver les nombreuses ressemblances qui existaient entre la religion celte et la religion chrétienne. Aucune divinité romaine ne put jamais s’y interposer. Les celtes bituriges croyaient en un Dieu Trine à travers Esus, Taran et Teutatès et en une « Vierge qui devait enfanter » à travers leur déesse mère. La différence fondamentale qui les opposait au Christianisme résidait dans le fait que les forces du bien et du mal coexistaient et s’opposaient avec la même intensité (alors que dans le Christianisme, le mal, confiné sur la terre jusqu’au Jugement Dernier, a été définitivement vaincu par la mort du Christ sur la Croix).

       De la Déesse Mère à la Vierge Marie

      L’étude des temples celtes dédiés à la déesse Divona et des églises consacrées à la Vierge Marie le long de la vallée de la Dordogne et de l’estuaire de la Gironde montre que le passage entre les deux religions s’est fait progressivement avec l’arrivée des premiers chrétiens de Terre Sainte. Nous verrons dans un prochain article, comment des disciples du Christ, peu de temps après sa mort, ont traversé les mers pour accoster sur les côtes gauloises et notamment à Soulac et ont évangélisé la région.
      Tout le long de la Dordogne et jusqu’au bout des terres (au « Pal da Grava » ou Pointe de Grave), des chapelles mariales (dédiées à la Vierge Marie) ont jailli de terre, les plus grandes ayant donné naissance à d’immenses pèlerinages comme Notre Dame de Rocamadour, Notre Dame de Condat ou Notre Dame de la Fin des Terres à Soulac.

Les marins y venaient en grand nombre. Ils étaient les seigneurs du fleuve et pendant près de deux millénaires, à chaque départ ou à chaque retour en bateau, ils faisaient des processions en l'honneur de la Vierge Marie pour demander sa protection contre les dangers du fleuve et de la mer. Voilà pourquoi l'on y trouve de nombreuses maquettes de bateaux exposées.

A Condat, Notre Dame du Confluent, avait la particularité de venir en aide aux marins des rivières comme aux marins de l’Océan. En effet, Condatis était le seul port aquitain qui pouvait accueillir, grâce à son confluent à près de 100km à l’intérieur des terres, les grands bateaux arrivant de la mer et les embarcations de toutes tailles provenant de l’arrière pays. C’était un port de jonction, de transbordement des marchandises, une halte de marins en tout genre.

      Lorsque les Ducs d’Aquitaine décidèrent d’implanter un château fort près de la source de Condat, ils connaissaient déjà la sacralité du lieu. A cette époque on venait de fêter l’An Mil et la terreur de la fin du monde avait laissé la place à un formidable élan évangélique, « comme si le monde, se secouant de sa vétusté, revêtait le blanc manteau des églises » écrivait le chroniqueur Raoul Glaber. On devait d’ailleurs au fondateur du château de Condat, Guillaume VIII d’Aquitaine, arrière grand-père d’Aliénor et à son fils, Guillaume IX dit Le Troubadour, grand-père d’Aliénor, la fondation des trois plus célèbres églises de Bordeaux : l’église Sainte-Croix, l’église Saint-Seurin et la magnifique cathédrale Saint-André (près de laquelle les chercheurs placent la grande fontaine Divona aujourd’hui disparue).
Situé sur le territoire de Condat, le château prit naturellement le nom de château de Condat et le garda après la construction de la bastide en 1270 par Roger de Leyburn.

      Près de la fontaine sacrée, au milieu des dépendances du château, fut d’abord édifiée une petite chapelle naturellement dédiée à Notre Dame de Condat, mais très vite son étroitesse devint un obstacle à l'accueil des fidèles. Qu’ils soient libournais, marins en escale ou pèlerins sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle, tous se pressaient au chevet de la Vierge de Condat pour obtenir des grâces ou des guérisons. Plusieurs livres ne suffiraient pas à détailler les miracles opérés à Condat. Le premier hôpital de Libourne, à la place du temple protestant, place de la Croix Rouge, fut construit pour accueillir les Jacquets (pèlerins de Saint-Jacques) qui pouvaient s’y reposer se faire soigner ou reprendre des forces avant leur long périple jusqu’à Compostelle.

      Notre Dame de Condat

               L’Ange Gabriel



      A Condat, le grand pèlerinage à la Vierge avait lieu le jour de l’Annonciation, le 25 mars, jour où l’Archange Gabriel lui apparut pour lui annoncer qu’elle avait trouvé grâce auprès de Dieu et serait la mère du Sauveur. Nouvelle bouleversante pour la jeune Marie qui avait tout juste quinze ans.

    L’affluence massive des pèlerins, poussa la nouvelle duchesse d’Aquitaine, Aliénor, qui résidait souvent au château de Condat, à agrandir l’église pour recevoir les milliers de personnes qui se pressaient à sa porte chaque 25 mars.



C’était le Jour de Condat par excellence !
La fête battait son plein dans une ville en effervescence, mêlant processions mariales et liesse populaire en une savante alchimie du profane et du sacré si chère au cœur des gens du Moyen Age.

      Le magnifique autel en bois de Condat, aujourd’hui disparu, représentait le buste en relief de l’Eternel, tenant en sa main gauche la boule du monde. « Au centre, nous dit l’historien Guinodie, régnait une niche pour Notre Dame de Condat. Sa voussure était chargée de fleurs et de fruits en relief ». Dans un médaillon, trônait l’Ange de l’Annonciation. « Tout est d’une grande beauté chez lui, son visage, ses formes, ses membres sont arrondis et souples, et, comme s’il n’avait pas assez de ses ailes pour l’approcher de la Vierge, le sculpteur l’a placé mollement dans les nuées ». 
      D’une voix douce, l'Ange déclare à la jeune femme du médaillon d’en face de lui, sculptée dans une posture fragile :
« Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils, tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut ». Luc 1, 30-32

      Par sa réponse, la Vierge Marie, allait incarner, sous les traits d’une jeune fille de très grande beauté, la déesse sans visage des celtes, la future parturiente dont on ne savait ni l’heure ni le jour de la délivrance, la Divona des Bituriges Vivisques.
Par sa réponse, elle allait devenir l’Etoile des marins, la Protectrice des fleuves, la Patronne du confluent, la Bonne Mère :

« Qu’il me soit fait selon ta parole ! »

Le vitrail de l'Annonciation à Condat

Camille Desveaux


[1] Le nom de Condatis que Libourne conserva jusqu’au Xème siècle, n’était pas unique en France, il était aussi celui de nombreuses villes (ou villages) édifiées à la rencontre de deux rivières comme la ville de Rennes en Bretagne (au confluent de l’Ille et de la Vilaine). La variante de Candé ou Condé (issue de Condate) se rencontre encore aujourd’hui dans le nom de plusieurs communes françaises. Dans le Périgord, la commune de Condat-sur-Vézère a été fondée au confluent de la vézère et du Coly.

Photos et Aquarelle : Camille Desveaux, tous droits réservés

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