Condat, Le Jour de l’Ange
Le 25 mars
L'archange Gabriel aquarelle C. Desveaux |
La Divona des
Celtes
Pendant
plus de mille ans Libourne s’est appelée Condat. Ce nom lui fut donné par les
Celtes bituriges lors de leur implantation dans la région entre le IIIème et le
IIème siècle avant Jésus Christ. A la différence des autres peuplades celtes de
la Gaule, les Bituriges Vivisques possédaient un très fort attachement à l’eau
et vouaient un culte particulier à la déesse Divona. A Bordeaux, ils dressèrent
un temple en son honneur, la somptueuse fontaine Divona, qui fut, durant des
siècles, le plus haut lieu sacré de la ville. Les romains, eux-mêmes vénéraient
cette déesse des eaux qui se transforma rapidement en une déesse mère
puissante, chantée par le poète Ausone.
Pour
les Bituriges Vivisques, les deux rivières nourricières de leur territoire, la
Garonne et la Dordogne, étaient sacrées. Ils élevèrent, tout au long de leurs
rives, aux endroits les plus dignes d’intérêt, des temples et des lieux de
culte dédiés à la Déesse des Eaux. Au confluent de l’Isle et de la Dordogne,
ils créèrent la première ville de Libourne : un oppidum qu’ils nommèrent Condatis ou Condat[1],
appellation celte du mot confluent.
Il
est presque certain que la fontaine de Condat située dans la palus éponyme
existait déjà de leur vivant. Erigée à quelques encablures du menhir de
Pierrefite, son eau sourdait de la terre au cœur d’un grand méandre de la
Dordogne dans un cadre verdoyant assez éloigné du centre de l’oppidum (la ville
fortifiée) pour que les druides puissent y célébrer, à l’écart des hommes, la
déesse Divona.
De la Déesse Mère à
la Vierge Marie
L’étude des temples celtes dédiés à la déesse Divona et des églises consacrées à la
Vierge Marie le long de la vallée de la Dordogne et de l’estuaire de la Gironde
montre que le passage entre les deux religions s’est fait progressivement avec
l’arrivée des premiers chrétiens de Terre Sainte. Nous verrons dans un prochain
article, comment des disciples du Christ, peu de temps après sa mort, ont
traversé les mers pour accoster sur les côtes gauloises et notamment à Soulac et
ont évangélisé la région.
Tout
le long de la Dordogne et jusqu’au bout des terres (au « Pal da Grava »
ou Pointe de Grave), des chapelles mariales (dédiées à la Vierge Marie) ont
jailli de terre, les plus grandes ayant donné naissance à d’immenses
pèlerinages comme Notre Dame de Rocamadour, Notre Dame de Condat ou Notre Dame
de la Fin des Terres à Soulac.
Les
marins y venaient en grand nombre. Ils étaient les seigneurs du fleuve et pendant
près de deux millénaires, à chaque départ ou à chaque retour en bateau, ils faisaient
des processions en l'honneur de la Vierge Marie pour demander sa protection contre les dangers du fleuve et de
la mer. Voilà pourquoi l'on y trouve de nombreuses maquettes de bateaux exposées.
A
Condat, Notre Dame du Confluent, avait la particularité de venir en aide aux
marins des rivières comme aux marins de l’Océan. En effet, Condatis était le
seul port aquitain qui pouvait accueillir, grâce à son confluent à près de 100km
à l’intérieur des terres, les grands bateaux arrivant de la mer et les
embarcations de toutes tailles provenant de l’arrière pays. C’était un port de
jonction, de transbordement des marchandises, une halte de marins en tout genre.
Situé
sur le territoire de Condat, le château prit naturellement le nom de château de
Condat et le garda après la construction de la bastide en 1270 par Roger de
Leyburn.
Près
de la fontaine sacrée, au milieu des dépendances du château, fut d’abord
édifiée une petite chapelle naturellement dédiée à Notre Dame de Condat, mais
très vite son étroitesse devint un obstacle à l'accueil des fidèles.
Qu’ils soient libournais, marins en escale ou pèlerins sur les chemins de Saint
Jacques de Compostelle, tous se pressaient au chevet de la Vierge de Condat
pour obtenir des grâces ou des guérisons. Plusieurs livres ne suffiraient pas à
détailler les miracles opérés à Condat. Le premier hôpital de Libourne, à la
place du temple protestant, place de la Croix Rouge, fut construit pour
accueillir les Jacquets (pèlerins de Saint-Jacques) qui pouvaient s’y reposer
se faire soigner ou reprendre des forces avant leur long périple jusqu’à
Compostelle.
A
Condat, le grand pèlerinage à la Vierge avait lieu le jour de l’Annonciation,
le 25 mars, jour où l’Archange Gabriel lui apparut pour lui annoncer
qu’elle avait trouvé grâce auprès de Dieu et serait la mère du Sauveur.
Nouvelle bouleversante pour la jeune Marie qui avait tout juste quinze ans.
L’affluence
massive des pèlerins, poussa la nouvelle duchesse d’Aquitaine, Aliénor, qui
résidait souvent au château de Condat, à agrandir l’église pour recevoir les
milliers de personnes qui se pressaient à sa porte chaque 25 mars.
La
fête battait son plein dans une ville en effervescence, mêlant processions
mariales et liesse populaire en une savante alchimie du profane et du sacré si
chère au cœur des gens du Moyen Age.
Le
magnifique autel en bois de Condat, aujourd’hui disparu, représentait le buste
en relief de l’Eternel, tenant en sa main gauche la boule du monde. « Au
centre, nous dit l’historien Guinodie, régnait une niche pour Notre Dame de
Condat. Sa voussure était chargée de fleurs et de fruits en relief ». Dans
un médaillon, trônait l’Ange de l’Annonciation. « Tout est d’une grande
beauté chez lui, son visage, ses formes, ses membres sont arrondis et souples,
et, comme s’il n’avait pas assez de ses ailes pour l’approcher de la Vierge, le
sculpteur l’a placé mollement dans les nuées ».
D’une voix douce, l'Ange déclare à la jeune femme du médaillon d’en face de lui, sculptée dans une posture fragile :
D’une voix douce, l'Ange déclare à la jeune femme du médaillon d’en face de lui, sculptée dans une posture fragile :
« Sois
sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu vas
concevoir et enfanter un fils, tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand,
il sera appelé Fils du Très-Haut ». Luc 1, 30-32
Par
sa réponse, la Vierge Marie, allait incarner, sous les traits d’une jeune fille
de très grande beauté, la déesse sans visage des celtes, la future parturiente
dont on ne savait ni l’heure ni le jour de la délivrance, la Divona des
Bituriges Vivisques.
Par
sa réponse, elle allait devenir l’Etoile des marins, la Protectrice des fleuves,
la Patronne du confluent, la Bonne Mère :
« Qu’il
me soit fait selon ta parole ! »
Le vitrail de l'Annonciation à Condat
Camille Desveaux
[1] Le nom de Condatis que Libourne conserva
jusqu’au Xème siècle, n’était pas unique en France, il était aussi celui de
nombreuses villes (ou villages) édifiées à la rencontre de deux rivières comme
la ville de Rennes en Bretagne (au confluent de l’Ille et de la Vilaine). La
variante de Candé ou Condé (issue de Condate) se rencontre encore aujourd’hui
dans le nom de plusieurs communes françaises. Dans le Périgord, la commune de
Condat-sur-Vézère a été fondée au confluent de la vézère et du Coly.
Photos et Aquarelle : Camille Desveaux, tous droits réservés
Photos et Aquarelle : Camille Desveaux, tous droits réservés