vendredi 20 mars 2020

Libourne, la Sainte Epine en renfort




La Sainte Epine de Libourne :
de la légende à la réalité !










          Depuis une semaine environ, la Sainte Epine de Libourne, dont je vous ai maintes fois raconté la formidable histoire, est exposée en l’église Saint Martin de Fronsac d’où nos prêtres célèbrent chaque soir la messe, retransmise en direct sur les réseaux sociaux en raison du confinement général. 

L’Eglise Saint-Jean Baptiste de Libourne n’offrant pas les conditions adéquates pour les retransmissions télévisuelles, c’est la jolie chapelle romane qui a été choisie pour des raisons pratiques.


          Pourtant, cette situation n’a rien de fortuit, elle est même plutôt symbolique lorsqu’on sait que l’église Saint Martin a été érigée à la demande de Charlemagne lorsqu’il résidait à Condatis (ancien nom de Libourne) pendant la construction du château de Fronsac. Forteresse qui lui valut la victoire sur le duc rebelle refusant l’annexion de l’Aquitaine au royaume de France.




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        Après plusieurs mois passés à Condatis et de nombreux privilèges offerts à la ville comme la construction d’un hôpital pour les lépreux, l’effervescence économique due à la présence de la soldatesque, l’érection d’un monastère au pied du tertre de Fronsac dont il ne reste plus que la chapelle Saint Martin, le futur Charlemagne fit la promesse aux habitants de Condatis de les récompenser richement pour leur accueil. En l’an 811, il leur fit parvenir l’une des huit épines de la Couronne du Christ offertes par le patriarche de Jérusalem. Or vous le savez, à l’instar de l’empereur Constantin dont il s’inspira fortement, le roi Charles, devenu l’empereur Charlemagne après son sacre en l’an 800 à Rome, décida d’asseoir sa royauté sur la toute puissance de Dieu, conférant aux Saintes Reliques une place d’honneur dans sa conception monarchique. En ce temps là, posséder une Sainte Relique, c’est à dire une relique attribuée à Jésus, porteuse de son pouvoir thaumaturge, sa grâce de guérison, était à la fois un honneur et un prestige considérable et n’était possible qu’aux grands de ce monde. En raison de leur force miraculeuse, les reliques permettaient aux détenteurs du pouvoir de réaliser sur la terre un ordre à l’image du royaume céleste. Selon Edina Bozoky, maître de conférences à l’Université de Poitiers, spécialisée en histoire médiévale : « le rapport des princes et d’autres seigneurs avec le culte des reliques, reflété au miroir des discours – récits, sermons, louanges – qui s’y rapportent, laisse transparaître des enjeux politiques parfois considérables et nous donne des renseignements précieux sur la nature du pouvoir ».
La Passion de Charlemagne pour les reliques du Christ et les reliques des saints en général s’est développée au fil des siècles, accentuée par l’aura du monarque. Selon Edina Bozoky, la légende serait venue accroître la réalité mais pour la Sainte Epine de Libourne, les deux semblent se compléter. En effet les annales d’Eginhard, chroniqueur de l’empereur, relatent la construction du château de Fronsac et la victoire du futur empereur sur le rebelle Hunold. Les chroniques des Cordeliers, plus tard, confirmèrent la présence de l’Epine sacrée dans la bastide et relatèrent avec force détails les miracles qu’elle accomplit au fil des siècles sur la ville.



       
Les miracles de la Sainte Epine[1]


Le premier miracle de la Sainte Epine fut certainement son rayonnement spirituel et la notoriété qu’elle offrit à la ville dès le début du IXème siècle. Après Charlemagne, Guillaume le Vénérable, Aliénor d’Aquitaine, Henri II et son fils Henri III Plantagenêt, ce fut au tour du Prince Noir, fils d’Edouard III et prince de Galles, et de son épouse la belle Jeanne de Kent, d’asseoir le pouvoir royal sur l’exaltation de la Sainte Epine.

En 1427, un fort tremblement de terre, suivi d’un grand incendie, détruisit la quasi-totalité de la toiture de l’hôtel de Ville en construction. Le feu se propagea à une si grande vitesse que tout le quartier de la place du marché menaça de s’embraser. La Sainte Epine fut alors brandie par un frère Cordelier entouré de la population affolée qui vit s’éteindre l’incendie. Les habitants de la nouvelle bastide attribuèrent à la Sainte Epine ce miracle survenu le jour de la Chandeleur ou fête de la Lumière le 2 février 1427, ce même jour où le toit de l’église Saint-Jean Baptiste, suite aux fortes secousses, s’était effondré sur une nef surchargée de fidèles sans faire une seule victime.

Une cinquantaine d’années plus tard, lors d’un hiver particulièrement rigoureux, près de deux mille personnes moururent de froid et de faim à Libourne. Pour endiguer le fléau on eut recours à la Sainte Epine. Une nouvelle fois les calamités cessèrent.

En 1492, la garnison de Libourne se révolta contre ses officiers, menaçant d’ensanglanter la ville. Un Cordelier courut chercher la Sainte Epine et la brandit devant les soldats survoltés, les adjurant de déposer les armes. Pris de remords, les révoltés se prosternèrent et demandèrent pardon.

En 1501, eut lieu à Libourne, sous le pontificat d’Alexandre VI, l’ouverture d’un grand jubilé séculaire (d’envergure nationale) par l’archevêque Jean de Foix assisté du chapitre de Saint Emilion et d’un grand nombre de prêtres. Une célébration exceptionnelle dont la chapelle de Condat garde la mémoire avec l’écusson représentant le saint archevêque.

En 1515, François Ier confirma par lettres patentes rédigées en lettres d’or les privilèges de la ville de Libourne.

Durant les années de grande peste en 1514 et en 1528, la ville de Bordeaux fut si touchée par le fléau mortel que ses habitants quittèrent la ville par milliers. Par trois fois, le Parlement vint s’installer à Libourne qui ne déplora aucune victime.

Mais le plus grand miracle de la Sainte Epine reste peut-être celui de l’an 1609 où elle fut retrouvée dans un mur de l’église Saint-Thomas, près de quarante ans après sa disparition au temps des guerres protestantes. En effet, vers l’an 1564, les huguenots de Guîtres et de Coutras avaient déferlé sur la ville, profanant, saccageant et pillant les églises et le couvent des Cordeliers, maltraitant et blessant des habitants. En état de choc les libournais ne s’aperçurent pas tout de suite de la disparition de la Sainte Epine. Quand les confrères de Saint Clair, constatant les dégâts, ne retrouvèrent plus leur précieuse relique, ce fut la consternation générale. Pendant 40 ans on la chercha sans succès. Alors quand un ouvrier la découvrit cachée dans un mur de l’église en restauration, ce fut l’allégresse générale. Toute la ville de  Libourne fêta l’événement. Le cardinal François de Sourdis, après avoir fait authentifier la sainte Relique par les autorités compétentes, vint spécialement pour l’occasion. Il ordonna que la Sainte Epine soit solennellement translatée en l’église Saint-Jean-Baptiste, plus sûre, et qu’elle soit fermée dans une armoire à trois serrures creusée dans le mur de l’Evangile. Les clefs furent remises au maire de la ville, au viguier de Saint Clair et au curé de Saint-Jean. Le 5 avril 1609, dimanche de la Passion, le cardinal de Sourdis vint présider la cérémonie devant une foule considérable que la place de la mairie (actuelle place Abel Surchamp) et les rues adjacentes ne pouvaient contenir. Le maire et les jurats étaient aux premières loges, mentionnant avec fierté dans le compte-rendu du conseil municipal que 9000 personnes au moins avaient participé au cortège.

Ainsi, huit siècles après son arrivée à Libourne, la Sainte Epine de Charlemagne rassemblait une nouvelle fois la population de la ville autour d’elle sans distinction sociale, sans clivage politique ou religieux, mais dans l’esprit d’une union fraternelle et festive qui resta longtemps gravée dans les mémoires.

Est-ce cette mémoire qui attira de nouveaux illustres pèlerins un demi-siècle plus tard ? Au mois d’août de l’année 1650, le jeune Louis XIV, alors âgé de 12 ans, accompagné de son frère, de sa mère Anne d’Autriche et du cardinal Mazarin, séjournèrent un mois entier à Libourne. Ils visitèrent la ville et assistèrent à de nombreux offices religieux au cours desquels fut présentée la célèbre épine de la Couronne du Christ.

La tradition veut que la reine, après avoir découvert le cloître des Récollets (aujourd’hui la médiathèque municipale), goûte à l’eau fraîche d’un puits qui ne fut plus connu que sous le nom de « Puits de la Reine ». Cette anecdote rend compte de la chaleur qui toucha l’Aquitaine cet été là, chaleur d’autant plus lourde que la Fronde sévissait. Depuis la mort de Louis XIII en 1643, le pouvoir royal était affaibli par la l’organisation d’une période de régence. C’était donc moins un pèlerinage d’agrément qu’une déclaration de guerre à la ville de Bordeaux devenue le refuge des partisans de la Fronde que vécut le jeune Louis XIV. Le célèbre d’Artagnan arriva à Libourne à la fin du mois d’août pour organiser le départ de la cour vers Bourg.

Pour la deuxième fois, après Louis XI en 1462, la ville devint « capitale de la France » durant un mois. Les festivités qui accompagnèrent la présence de la famille royale trompèrent un peu la situation politique du moment et Libourne s’enorgueillit de recevoir de nouveaux privilèges en remerciement.

Tels furent les grands moments de l’histoire de Libourne, liés de près ou de loin à Sainte Epine offerte par Charlemagne. Célèbres personnages de l’histoire de France, phénomènes miraculeux, festivités légendaires, illustrent la notoriété de la sainte Relique tant sur le plan spirituel que sur le plan politique. Assurant la protection collective, elle fut utilisée par les élites de la ville pour accroître leur prestige et asseoir leur légitimité.


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La Chapelle de la Sainte Epine, église Saint Jean-Baptiste de Libourne


Quel réconfort, pour l’auteure historienne que je suis, de voir l’objet de mes recherches devenir aujourd’hui une réalité tangible de notre éprouvant présent ; il m’a toujours semblé que la rareté de cette relique sacrée avait totalement modifié le patrimoine génétique de notre belle bastide, en témoignent les pèlerinages à son chevet des grands personnages de l’histoire cités plus haut et les privilèges qu’ils accordèrent à la ville durant des siècles.

Aujourd’hui, elle retrouve une place d’honneur dans le cœur de la jolie bastide du confluent grâce à sa mise en valeur souhaitée par le maire de la ville, Philippe Buisson, afin de permettre à tous, croyants ou non, de la découvrir dans un écrin de verre hautement sécurisé, qui sera sorti lors des grands moments solennels du temps liturgique et pour les fêtes patrimoniales.

Et en ces temps difficiles, le Père Julien, curé de Libourne, a décidé à son tour de la sortir chaque jour lors de la messe retransmise en direct à 18 heures pour tous les fidèles qui ne peuvent plus communier sacramentellement, soulagés de se savoir protégés par l’une des 72 épines qui touchèrent le front du Christ et en reçurent sa force thaumaturge, puissance de vie.




Le Père Julien, à droite, juste derrière le reliquaire de la Sainte Epine


Qu’ils soient tous deux remerciés pour leur geste symbolique, nous permettant de garder intacte la lumière de l’espérance en nos cœurs, chacun à notre manière, dans la foi pour certains, la solidarité et l’entraide pour les autres mais surtout dans l’amour des uns pour les autres, immodéré et inconditionnel.

Quand la légende devient réalité, c’est l’histoire tout entière qui prend corps en rejoignant nos vies.

Que la grâce de Dieu soit avec vous,

                                                             
                                                             Camille




[1] Extrait de l’ouvrage : Il était une fois la Sainte Epine de Libourne, Camille Desveaux, 2016, Laplante, 80 pages.



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