mardi 2 février 2016

La Miséricorde de Libourne (1)


La Miséricorde de Libourne
Maison de Charité fondée par Elisabeth Yon

Depuis 180 ans, la Miséricorde de Libourne s'est consacrée aux femmes dans la détresse (prostituées, femmes battues, femmes caractérielles) avant de s'étendre aux personnes déficientes mentales. Le charisme des accompagnants (religieuses puis personnel encadrant) est resté le même: accompagnement, aide à la réinsertion dans un esprit de liberté, de dignité et d'amour. Découvrez ce lieu exceptionnel, qui a traversé près de deux siècles, vu renaître Libourne de ses cendres après la Révolution Française et connu une mutation réussie entre ses fondements originels et sa réalité d'aujourd'hui.

(Partie I)



Elisabeth YON


Le 2 février 1837, naissait à Libourne, sous l’impulsion d’Elisabeth Yon, l’œuvre de la Miséricorde, fondée trente années plus tôt à Bordeaux par Marie-Thérèse Charlotte de Lamourous à la demande de son directeur spirituel, le père Joseph Chaminade.
Maison de charité destinée à accueillir les prostituées désireuses de changer de vie, elle étendit peu à peu son action aux femmes et aux jeunes filles issues des milieux défavorisés avant de devenir le centre d’aide et d’accompagnement que nous connaissons aujourd’hui, situé 50 rue Lamothe à Libourne.
En 2017, la Miséricorde de Libourne fêtera ses 180 ans : 180 ans d’histoire, 180 ans de passion, 180 ans d’amour…
De Bordeaux à Libourne, de Cahors à Laval, de Cracovie à Varsovie, c’est au sein de cette fondation religieuse qu’entra Sœur Faustine le 1er août 1925. Cette même congrégation où le Christ, apporta à travers elle, le grand message de la miséricorde divine, comme un accomplissement à l’œuvre prophétique de la première supérieure fondatrice : Marie-Thérèse Charlotte de Lamourous.



La Miséricorde de Libourne © Norbert Jung (Libourne)


Si vous étiez venue, nous serions sauvées !

Rien ne prédestinait Marie-Thérèse de Lamourous à créer cette œuvre de charité. Profondément chrétienne, Marie-Thérèse s’était distinguée pendant la Révolution Française par son courage et sa détermination à aider les prêtres réfractaires à se cacher ou à fuir les persécutions. Au péril de sa vie et après plusieurs arrestations, elle brava les révolutionnaires, œuvrant à la restauration du catholicisme à Bordeaux. Issue d’une famille de la noblesse bordelaise, elle dut s’exiler avec son père dans leur maison du Pian Médoc où elle continua son action de résistance chrétienne face à la folie révolutionnaire.

En 1800, le calme revenu,  le Père Chaminade, son directeur spirituel, souhaitait lui proposer la direction de l’œuvre qu’il venait de créer, la Congrégation de l’Immaculée Conception, intimement persuadé que le salut de la France viendrait de la Vierge Marie.

Marie-Thérèse de Lamourous
Mais un événement inattendu bouleversa son projet : une noble dame qui recueillait chez elle les femmes voulant sortir de la prostitution, véritable fléau au XIXème siècle, se trouva dépassée par les demandes incessantes de jeunes personnes réclamant son aide. Elle appela au secours Marie-Thérèse qui refusa net, horrifiée par ces femmes qu’elle ne pouvait croiser dans la rue sans changer de trottoir. Pourtant une nuit elle fit un songe décisif : une de ces malheureuses qu’elle avait accepté de rencontrer chez son amie, la regardait en pleurant et lui disait : « si vous étiez venue, nous serions sauvées ! ».
Au beau milieu de la nuit, rassemblant ses affaires, elle prit la route de Bordeaux à dos de mule pour rejoindre son amie et le père Chaminade. Le soir venu, faisant mine de partir, elle leur dit : « Bonsoir, je reste ! ».

L’œuvre de la Miséricorde était née.



Mademoiselle YON



Elisabeth YON
Trente ans après la fondation de l’œuvre de la Miséricorde à Bordeaux qui s’était installée au couvent des Annonciades à Bordeaux (locaux actuels de la DRAC), la jeune Elisabeth Yon, profondément marquée par l’œuvre de Marie-Thérèse de Lamourous et par les fruits qu’elle essaimait autour d’elle, décida, après un long murissement spirituel de fonder une Maison de Miséricorde à Libourne. A l’instar de sa grande sœur bordelaise qui devint plus tard maison mère, l’œuvre de la Miséricorde de Libourne fut l’un des plus beaux contrats de l’histoire de la ville signé par Elisabeth Yon, qui contribua à la transformation de l’image de la ville dans la deuxième moitié du XIXème siècle et qui perdure encore aujourd’hui…



La jeunesse d’Elisabeth

Elisabeth Yon vit le jour au soir d’un 23 janvier 1786 à Libourne. Son père Etienne, originaire de Lesparre, y exerçait le métier de surveillant et d’agent du génie civil chargé de l’entretien du matériel des casernes (casernier). Les casernes avaient été fondées un quart de siècle plus tôt près de la porte de Saint-Emilion par l’architecte M.Toufaire, selon la volonté du duc de Richelieu. Les premières troupes, quant à elles, n’y furent logées qu’en 1773. C’est là que vivait la famille Yon.




Les casernes de Libourne



Par sa mère, Mme Murat, Elisabeth appartenait à une famille de commerçants aisés originaires du Cantal. Son oncle, l’abbé Murat fut un prêtre très estimé qui dirigea la cure de Pauillac pendant plus de trente ans. Homme d’une grande piété, il avait lui aussi bravé les foudres révolutionnaires devenant une véritable légende de son vivant. Né et mort à Libourne, plusieurs biographies lui sont consacrées éclairant l’enfance d’Elisabeth.

Malgré ce terreau fertile à l’éducation d’une jeune fille, milieu aisé et éclairé, Elisabeth ne profita guère d’une instruction soignée. Elle avait sept ans lorsque la Terreur éclata en France et l’accès à la culture lui fut fermé. Sa mère, modèle de charité, lui donna bien des leçons de piété mais la soif de connaissances d’Elisabeth restait intarissable. Elle put tout de même arpenter les bancs de l’école jusqu’à l’âge de onze ans, se distinguant des autres élèves par sa passion pour les sciences humaines, mais de santé fragile et suffisamment instruite selon sa mère, elle dut arrêter.


Elisabeth, face à son destin


Une jeunesse solitaire

De son manque d’instruction, Elisabeth décida d’en faire un atout, tremplin vers l’avenir. Elle s’attela seule à la tâche et, en autodidacte décidée, commença à dévorer les livres qu’elle avait en passion. Aucune difficulté ne l’arrêtait et après la lecture ce fut au tour de la géométrie de bénéficier de sa soif d’apprendre. Elle étudiait seule, ni les planches, ni les chiffres, ni les signes mystérieux ne la rebutaient, sa mémoire était immense. Elle devint très vite une infatigable et excellente élève.
Pourtant son cœur la taraudait. Dans ses chroniques, elle décrit elle-même, avec une grande lucidité,  la sensibilité démesurée qui la caractérisait. Son attachement aux personnes et aux choses lui jouait des tours et lui faisait éprouver plus durement les émotions et les peines.
Pendant trente ans, Elisabeth évolua dans son monde solitaire, en quête d’un bonheur spirituel et humain qu’elle ne trouvait pas.
Elle écrit : je vivais ma jeunesse « sans être dans le monde, toujours voulant le bien, l’estimant et ne le faisant pas ! ».


La rencontre avec l’abbé Charriez



Eglise Saint Sulpice à Paris
C’est alors qu’une rencontre bouleversa sa vie, celle de l’abbé Charriez. Le jeune homme arrivait du Grand-séminaire de Saint-Sulpice où il avait été ordonné prêtre avec son ami Pierre-Bienvenu Noailles avant de rejoindre Libourne en 1819. Jean-Jacques Charriez avait d’abord embrassé la carrière de militaire et atteint le haut rang de capitaine d’artillerie à l’âge de vingt et un ans avant d’être arrêté dans sa course au mérite par une conversion fulgurante à l’instar de son ami Pierre-Bienvenu. C’est dans le terreau spirituel sulpicien qu’ils vécurent ce bouleversement et firent leurs premières armes au service de la foi sous la direction du père Gabriel Mollevaut. Homme d’une grande sainteté, le père Mollevaut avait abandonné sa carrière de professeur émérite spécialiste de la langue grecque pour se consacrer aux jeunes, de plus en plus nombreux,  désireux de participer à la reconstruction spirituelle de la France après les ravages de la Révolution Française. Lacordaire ou Ozanam furent de ces élèves. Revenu à Bordeaux, Pierre-Bienvenu Noailles fonda l’association de la Sainte Famille et travailla de concert avec Marie-Thérèse de Lamourous en tant que curé de Sainte-Eulalie où se trouvait le couvent des Annonciades, siège de la Miséricorde.




Le cloître des Récollets (Médiathèque) de Libourne © Norbert Jung (Libourne)


L’abbé Charriez, quant à lui, prit la tête d’une Congrégation du père Chaminade à Libourne et s’installa dans une annexe de la chapelle des Récollets qu’il racheta. Il secondait le père Rouquet, curé de la paroisse, heureux du zèle et de la grande foi de son nouveau protégé. En tant que directeur de la Congrégation, le jeune abbé Charriez convainquit Elisabeth Yon, pieuse et fidèle paroissienne, d’intégrer la branche féminine de la Congrégation.

Et le « 20 décembre 1820, dit Elisabeth, j’entrai dans la Congrégation de l’Immaculée Conception de la Sainte Vierge ! ». L’abbé charriez, dont la devise était « Dieu Seul » devint son directeur spirituel.

Dieu Seul !


La fondation de la Congrégation de l’Immaculée Conception à Libourne avait été voulue par le père Chaminade lui-même, en accord avec l’abbé Rouquet, curé de Libourne, afin de rendre durables les fruits d’une Mission que ce dernier avait porté dans la paroisse en 1819. Dans l’esprit d’évangélisation que connaissait Bordeaux après la Révolution Française, il s’agissait de donner un nouveau souffle de foi aux jeunes laïcs qui épousaient les différents niveaux de la société. Certains pouvaient se lier par des vœux privés à la Congrégation tout en restant dans le monde. C’est ce que fit Elisabeth le 8 septembre 1824.

En intégrant la grande famille des Congréganistes, Elisabeth s’engouffrait à corps et à cœur dans l’institution du père Chaminade sur les pas de sa fille spirituelle Marie-Thérèse de Lamourous. Elle œuvrait pour la Congrégation mais s’imprégnait peu à peu de l’esprit de la Miséricorde.

Dix ans après son entrée dans la Congrégation elle comprit qu’elle devait elle-même établir une œuvre solide. Cette vie ne lui suffisait pas, son âme était troublée. Un appel intérieur la fit s’arrêter sur les paroles de l’Evangile : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît ».



L'entrée du Couvent des Annonciades (DRAC)



La Maison de la Miséricorde à Bordeaux
Elisabeth ne le savait pas encore mais cette phrase était la devise de Marie-Thérèse de Lamourous. Son intuition la guida jusqu’à la place Sainte Eulalie à Bordeaux où elle commença à fréquenter la Miséricorde et à voir ce qui s’y passait. Elisabeth était impressionnée par la vieille Bonne Mère que tout le monde considérait comme une sainte  et qui avait réussi à sauver des centaines de femmes de leur vie de perdition. Elle lui avait amenée une jeune fille, un jour, que la Bonne Mère malade avait bénie et elle était repartie bouleversée par le charisme et la bonté de la fondatrice.
Au cours d’une messe, Elisabeth reçut une sorte de révélation intérieure : être seule et réussir !

Alors elle demanda un signe à la Vierge Marie : si la volonté de Dieu est de créer une Miséricorde comme celle de Bordeaux, qu’elle lui envoie une personne qui voudra payer le loyer d’une maison destinée à cette œuvre. Après une neuvaine de prières qui se termina le 15 août, une jeune femme se présenta chez elle et lui dit : « Louez une maison, Mademoiselle Yon, je paierai ! ».

Sa décision était prise, elle créerait la Miséricorde de Libourne et aurait pour devise, Dieu Seul !




La suite bientôt...


Camille Desveaux
(©Il était une fois... la Miséricorde de Libourne" Exposition du 25 au 30 janvier 2016 à la Miséricorde de Libourne)

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