Roger de Leyburn
"Père" de Libourne
(Partie I)
« Jeune Chevalier dans un paysage » © Museo Thyssen - Bornemisza, Madrid.
La Jeunesse du chevalier de Leyburn
A
Leybourne, le jeune Roger rêvait d’aventures...
Il n’avait pas encore le droit de
se joindre aux réunions des adultes mais il entendait souvent son père parler
des affaires du royaume. Ce dernier était entré au service du jeune roi d'Angleterre Henri III et
s’était lié d’amitié avec lui. Régulièrement le roi venait s’entraîner au
combat sur les terres des Leybourne. Le petit Roger pouvait contempler à sa
guise les soldats lors de leurs exercices et s’imaginait le moment où, à son
tour, il aurait la chance de se battre à leurs côtés. Cette pensée le taraudait
et le caractère fougueux de son père le poussait toujours plus loin dans son
imaginaire chevaleresque.
Pour
le moment, il passait le plus clair de son temps en compagnie de sa mère, Eleanore
de Thurnham, fille d’un riche propriétaire du Kent dont elle avait hérité. Ce
dernier avait programmé de longue date le mariage de sa fille avec Roger I de Leybourne (le père du jeune Roger) dont il était le tuteur. Sir Thurnham avait acheté la tutelle de Roger I pour
la somme de 300 marks à la mort de son père. Cela faisait de lui le responsable
des terres et de l’héritage du domaine des Leybourne qu’il décida d’associer à
celui de sa fille faisant du jeune Roger de Leybourne un riche héritier.
Malheureusement
Eleanore mourut alors que Roger n’était pas encore adolescent. Dans un univers
essentiellement masculin, les principales occupations du jeune garçon se
limitaient aux entraînements des guerriers, aux récits de leurs combats et à la
mise en place de stratégie de défense de leurs intérêts. Tout ce qui concernait
la politique du royaume d’Angleterre ne lui était plus étranger et il devint
vite incollable sur l’organisation socio-économique du pays, farouche défenseur
à son tour, de la noblesse anglaise et de la cause des barons.
Son
père prit rapidement conscience de ses compétences physiques et intellectuelles et songea qu’il était temps de le former. Le jeune Roger devint un jeune homme robuste et
vaillant très apprécié de son entourage.
Le
roi Henri III, de neuf ans son aîné, décida de le prendre sous son aile. En peu
de temps, Roger acquit la réputation de « fameux baron du Kent multipliant
les exploits avec les guerriers les plus courageux et les plus renommés de son
âge »[1].
Un
chevalier rebelle (1252-1263)
|
Le
caractère de Roger s’affermissait avec l’âge. La fougue de sa jeunesse le
rendait parfois impulsif, parfois arrogant mais toujours relativement
raisonnable. Pourtant le côté sombre de son tempérament allait bientôt
apparaître et le faire sortir de l’anonymat. La mort de son père au même moment
(1251) le propulsa au rang d’unique héritier des Leybourne et l’affranchit de
toute autorité paternelle, qui jusque là, lui avait servi de modèle et de
cadre.
En
1252, alors qu’il participait à une joute courtoise, Roger prit place en face
de son adversaire, Arnulf de Monteney, qu’il ne connaissait que trop bien après
avoir eu la jambe cassée par ce dernier lors d’un combat amical.
Les
joutes courtoises ou joutes à plaisance, contrairement aux joutes à outrance
étaient des combats de courtoisie lors desquels les lances étaient équipées
d’embouts spéciaux afin de ne pas blesser l’adversaire. Le but premier était
d’attirer l’attention d’une demoiselle et de recevoir un prix ou une couronne
de fleurs de sa main. Outre
l’entraînement militaire, c’était aussi et surtout l’occasion de montrer sa valeur.
Or
ce jour là, dans la ville de Saffron Walden, située à une centaine de
kilomètres de Leybourne, le jeune Arnulf s’écroula violemment de son cheval
après avoir heurté la lance de Roger de Leybourne.
A terre, son corps gisait dans une mare de sang, mort, tué sur le coup!
A terre, son corps gisait dans une mare de sang, mort, tué sur le coup!
Chevalier blessé lors d'une joute, enluminure |
La stupéfaction était à son comble dans ce tournoi festif. Les affrontements pouvaient parfois provoquer des blessures mais les lances émoussées ne tuaient jamais les adversaires. Roger se défendit d’avoir mal agit et jura d’avoir suivi les règles de la Table Ronde[2] : il avait d’abord festoyé avec le jeune Arnulf et les autres concurrents, comme le voulait la tradition, sans qu’aucun propos malveillant ou provoquant ne soit lancé. Pourtant les soupçons se tournèrent rapidement contre lui. Sa fracture de la jambe après une mauvaise chute face à Arnulf était encore dans les esprits mais personne n’aurait pu imaginer que Roger de Leybourne enfreigne les règles de la chevalerie…
Cela
aurait été une véritable insulte au code d’honneur des Tables Rondes instituée
par le roi d’Angleterre, Henri II Plantagenêt, un siècle plus tôt.
En
ce temps là, le célèbre roman du roi Arthur et de Merlin l’Enchanteur venait
d’être remis à l’honneur par Wace et Chrétien de Troyes pour vanter les mérites
du nouveau roi d’Angleterre et asseoir sa légitimité sur le trône. L’époux
d’Aliénor d’Aquitaine, passionnée elle aussi de poésie et de roman courtois,
souhaitait, par cette légende largement diffusée, redorer son blason et se
faire aimer du peuple anglais, lui qui était duc de Normandie. Le résultat fut
à la hauteur de ses espérances, tous les chevaliers rêvèrent bientôt de
ressembler aux héros du roman arthurien.
Les Chevaliers de la Table Ronde, coll. Larbor |
Mais
au delà des exploits de ses protagonistes, la légende du Roi Arthur était
surtout un roman philosophique qui vantait les lois de la chevalerie et
l’égalité de tous autour de la Table Ronde. Il fallait imaginer la table comme
la symbolisation du royaume de Dieu portant en son centre le Saint Graal.
Il
était inconcevable qu’un chevalier y déroge.
Pourtant,
ce jour là, Roger de Leybourne l’avait fait.
Il
fut accusé d’avoir utilisé une lance non émoussée et de l’avoir enfoncée dans
le cou d’Arnulf de Monteney, juste au dessous du casque, là où il n’était pas
protégé.
...
L’affaire
fit tant de bruit qu’elle fut même mentionnée dans le calendrier des
« Patents Rolls », actes législatifs anglais inscrits dans de larges
rouleaux. C’était en septembre 1252. Il faut dire qu’Arnulf de Monteney était
chevalier du Roi et que son meurtre, s’il en était, ne pouvait pas rester impuni.
Personne n’arrivait vraiment à croire à la déloyauté de Sir Roger mais ses
aveux et son départ pour la Terre Sainte sous le signe de la Croix furent la
preuve de sa culpabilité. Il demanda publiquement pardon au roi.
Extrait d'un Patent Roll |
Pour
mieux comprendre la personnalité de Roger de Leyburn, il semble moins qu’il ait
pris la Croix pour expier sa faute devant Dieu que pour rester dans les bonnes
grâces du roi… A ce moment là, il était à sa solde et comptait bien y
rester ! Henri III accepta ses excuses publiques, le lava de ses soupçons
et lui offrit, outre l’annulation de ses dettes personnelles, une rente
annuelle pour le garder à son service.
Roger
de Leybourne avait gagné cette partie mais de nouveaux évènements allaient le
faire basculer une fois pour toutes dans le camp de l’adversité...
Camille Desveaux
Comment Roger de Leybourne réussit-il à regagner la confiance du roi Henri III?
Comment le plus turbulent des barons décida-t-il désormais d’œuvrer
pour le bien ?
Comment le loup se transforma en agneau, tel Saint Paul sur
la route de Damas ?
La suite, bientôt...