lundi 6 janvier 2020

La fabuleuse histoire du clocher de l'église Saint Jean-Baptiste de Libourne



LIBOURNE
La fabuleuse histoire
du clocher de l’église Saint-Jean







Le clocher de l'église Saint-Jean, aquarelle C. Desveaux



Le saviez vous ?



Avant la construction du clocher de l’église Saint Jean-Baptiste de Libourne, au début du XIXème siècle, la place Saint-Jean telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas : autour de l’église se dressait un immense cimetière entouré de murs élevés qui offrait à l’endroit une atmosphère sombre et lugubre. L’église, beaucoup plus petite, avait été fort malmenée durant la Révolution Française et menaçait tout bonnement de s’écrouler accentuant encore la sensation de désolation du quartier.
Comble de malheur, la célèbre Sainte Epine*, offerte par charlemagne aux habitants de la ville en l’an 811, avait disparu depuis qu’un révolutionnaire s’en était emparé et l’avait brisée en deux morceaux.
En l’espace de 10 ans, l’église Saint-Jean était passée du rang d’église paroissiale à celui de Temple de la Raison où se réunissaient les révolutionnaires et enfin à une simple ruine. Tout ce qu’elle recélait de métal avait été fondu pour fabriquer des armes et les objets qui n’avaient pu être mis en lieu sûr, comme les autels ou les tableaux, avaient été réduits en cendre. Triste fin pour un célèbre monument…



L'église Saint Jean-Baptiste de Libourne, dessin du peintre Léo David




* La Sainte Epine de Libourne est l’une des huit épines de la Couronne du Christ offerte à Charlemagne par le Sultan Haroun al Rachid en l’an 800. Charlemagne en fit cadeau aux habitants de Condatis (le Confluent, premier nom de Libourne) pour les remercier de l’avoir logé lui et ses troupes lors de la construction du château de Fronsac, au dessus du tertre éponyme d’où il livra et remporta la bataille sur le duc d’Aquitaine en 769.





Le retour de la Sainte Epine


Heureusement, un événement inattendu marqua le début d’une lente résurrection.
En 1802, la Sainte Epine qui avait disparu durant ces temps obscurs où l’intolérance régnait, fit son retour sur le devant de la scène. Elle fut remise au maire de la Ville et au curé de Saint-Jean par un homme qui avait participé au sac de l’église pendant la Révolution et qui, dans un sursaut de lucidité, avait rattrapé l’épine cassée des mains de son ami révolutionnaire afin de la cacher chez lui et n’en souffler mot à personne.
Au moment du Concordat, quand le culte fut officiellement rétablit, cet homme qui se nommait Noël Janeau, notaire de son état,  décida de se racheter en rendant à la Ville l’objet qui faisait sa fierté depuis près d’un millénaire.
Monseigneur d’Aviau, alors archevêque de Bordeaux, ordonna immédiatement une enquête au sujet de la sainte Relique* qui dura près de quatre années. L’authentification ayant été concluante, l’archevêque la dota d’un magnifique reliquaire d’argent et y apposa son sceau. Le 4 avril 1808, il vint à Libourne en personne pour présider l’ouverture solennelle d’un grand jubilé.
C’est le joaillier Pierre Nolin qui fut chargé de réparer l’Epine sacrée et la sertir d’un anneau d’or. Cet anneau est encore bien visible aujourd’hui.




La Sainte Epine de Libourne, Cl. Norbert Jung



* Les saintes Reliques sont les reliques attribuées au Christ. Leur sacralité garantissait à leurs possesseurs (Constantin Ier, Charlemagne, Saint Louis…) une puissance spirituelle et politique extraordinaires qui les plaçait à mi chemin entre le ciel et la terre.

Parmi les saintes Reliques, on trouve : les clous de la Passion, la Vraie Croix, la sainte Couronne et ses épines, une centaine environ (dont celle de Libourne offerte à Charlemagne par le Sultan Haroun al Rachid), le saint Calice, le Voile de Véronique…





L’homme qui sauva l’église Saint Jean



En 1819 arriva à Libourne le jeune abbé Charriez tout juste sorti du séminaire de Saint Sulpice à Paris. Ce fringant capitaine d’artillerie à la carrière toute tracée venait de lâcher les armes, après une conversion fulgurante, pour se revêtir de l’armure de Dieu. Dès son arrivée à Libourne, il fut apprécié pour son zèle, sa foi inébranlable et son amour des plus faibles. Installé à Libourne en tant que vicaire, il secondait l’abbé Rouquet, alors curé de la ville. Il consacrait une partie de ses journées à l’enseignement du catéchisme aux plus jeunes et aux déshérités et l’autre à la confession. En 1834, Le Cardinal de Cheverus le nomma curé de Libourne, à la place de l’abbé Rouquet vieillissant qui avait lui-même demandé à l’évêque la nomination de son jeune protégé. A partir de ce moment, celui que l’on appelait familièrement le Père Charriez, tant il était aimé des Libournais, se mua en véritable fondateur et couvrit la commune d’institutions toutes plus importantes les unes que les autres dont certaines existent toujours aujourd’hui. Le Cardinal de Cheverus, qui l’appréciait par dessus tout, disait de lui qu’il était « le meilleur d’entre les meilleurs ».

En l’espace de 11 ans, le Père Charriez créa :

-       Une école gratuite pour les enfants pauvres
-       Le collège des Frères des Ecoles Chrétiennes
-       Un asile pour les domestiques au chômage
-       Une école pour jeunes filles pauvres
-       Un orphelinat (l’orphelinat François Constant)
-       La Société des Amis Chrétiens
-       La Société Saint Vincent de Paul 

Mais aussi :

-       La Miséricorde 
-       Le Carmel (qui a fermé en 1992)
-    La Congrégation religieuse Sainte Marie de la Famille (qui a fusionné en 2005 avec une autre congrégation) destinée aux soins des malades et à l’enseignement des pauvres

Très vite les libournais prirent en estime ce jeune prêtre qui ne ménageait pas sa peine pour venir en aide aux plus pauvres.  Il leur donnait tout ce qu’il possédait si bien qu’on l’appela très vite « le saint de Libourne ». Mais le Père Charriez était aussi un homme fort instruit et passionné d’histoire. C’est lui qui alerta le premier les autorités sur l’état de vétusté et de dangerosité de l’église Saint-Jean. Sa ténacité et sa volonté émurent le Duc Decazes* natif de Libourne et très attaché à la commune, le maire et tous les habitants de la ville. En 1837 débuta un grand chantier de rénovation…



Elie Decazes, huile sur toile François Gérard (1777,1837)



* Elie Decazes, natif du Libournais, fut ministre de la Police puis ministre de l’Intérieur pendant la Restauration. Instigateur du Pont de Pierre à Libourne, il offrit également une somme importante à la fondation de l’hôpital (Cloître des Récollets). Dans les années 1820, il fit don au Musée des Beaux Arts de plusieurs œuvres de sa propre collection et du Musée du Louvre. Il offrit à l’église Saint-Jean Baptiste un tableau monumental de Bartoloméo Manfredi, Jésus chassant les marchands du Temple, exposé aujourd’hui au musée de la ville.



La reconstruction de l’église Saint Jean-Baptiste de Libourne



Les travaux d’envergure que connut l’église Saint Jean-Baptiste après la nomination du Père Charriez comme curé de Libourne s’apparentent plus à une reconstruction qu’à une restauration. Ayant convaincu le ministres des Cultes (avec le concours du Duc Decazes), la Municipalité et le Conseil de Fabrique de l’église (groupe de laïcs administrant les biens de la paroisse), Charriez remania profondément l’église grâce à l’entrepreneur Rocherol (appareilleur du pont sur la Dordogne) et l’architecte Lapeyre. 
Les travaux commencèrent en 1837, peu de temps avant le transfert du cimetière alentour au lieu dit "La Paillette" par arrêté préfectoral (1838). On trouva 10 niveaux d'enfouissement de tombes confirmant la grande ancienneté du lieu. Une nouvelle ère commençait pour l’église Saint-Jean.
Le choeur de l'église Saint Jean-Baptiste
L’ancien édifice, beaucoup plus petit et très ancien, fut entièrement englobé dans la nouvelle église qui tout à coup, prenait des dimensions imposantes. Les murs latéraux du vieil édifice furent percés d’arches monumentales permettant le passage de la nef centrale aux nouvelles nefs latérales. De magnifiques chapelles intérieures ornèrent les flancs de l’église et un chœur de toute beauté fut accolé à l’ensemble offrant à l’édifice des dimensions vertigineuses. Une baie monumentale de vitraux signé du maître Nozan (auteur des vitraux de l’église Saint Germain l’Auxerrois) mit en lumière la vie de Jean Le Baptiste (saint patron de l’église depuis l’époque des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem au XIIème siècle). C’est le Père Charriez qui proposa le percement du mur arrière du chœur afin de le dédier à Jean Le Baptiste. Pour la célébration de la messe, il fit venir un maître-autel en laiton doré et émaillé, orné de somptueuses statues et de chandeliers monumentaux dont on peut encore  apprécier la splendeur aujourd’hui. L’ensemble, primé à l’exposition Universelle, était l’œuvre d’un maître orfèvre d’Ercuis, dans l’Oise, et avait été acheminé en train jusqu’à Libourne. La mosaïque du chœur fut exécutée dans le même temps.




La chapelle Saint Antoine de Padoue (cl. Amis de Saint Jean-Baptiste de Libourne)




Le clocher primitif


Pendant les travaux, se posa rapidement la question du clocher, en effet, l’ancienne église possédait un clocher intérieur, pas très élevé et de forme carrée* (cf le dessin du peintre Léo David) qui empêchait l’agrandissement de la nef à sa juste mesure. L’édification d’une nouvelle façade fut décidée comme conséquence de la démolition du clocher primitif et le 1er mai 1839 eut lieu la cérémonie de la pose de la première pierre d’un frontispice qui devait le remplacer. Mais très vite s’éleva un tollé de protestations devant à un frontispice que beaucoup trouvait de fort mauvais goût. En 1841, la Commission des Monuments historiques de la Gironde écrivait : « une construction informe, sans rapport  aucun avec le style de l’édifice a été appliqué à sa façade ; des projets sans goût ont été adoptés ; le maçon a travaillé et aujourd’hui le mal est sans remède. »
Ou presque, car de l’avis de tous, l’œuvre fut abandonnée pour un projet plus ambitieux et esthétique. Ainsi resta inachevée l’œuvre dessinée par Lapeyre et façonnée par Rocherol, œuvre dont on peut encore aujourd’hui apercevoir les stigmates de part et d’autre du nouveau clocher.



Dessin du frontispice de l'église Saint-Jean (Archives Amis de Saint Jean-Baptiste de Libourne)




* Ce clocher fort ancien, selon les découvertes faites pendant les travaux, devait avoir possédé une flèche lui aussi car les Cordeliers dans leurs chroniques relatent le tremblement de terre du 2 février 1427 qui fit s’effondrer la flèche du clocher sur la toiture de l’église remplie de paroissiens pour la messe de la Chandeleur. Grâce à l’excellent état de la charpente, il n’y eut aucune victime. A la différence de la toiture de l’Hôtel de Ville, alors en construction, qui s’enflamma et répandit l’incendie à toutes les maisons attenantes. On dit que c’est grâce à la Sainte Epine, brandie par un frère Cordelier que le feu s’éteignit et qu’il n’y eut aucune victime à l’intérieur de l’église. C’est l’un des miracles de la Sainte Epine racontés sur les vitraux de l’église de l’Epinette.






Le nouveau clocher


Ces péripéties n’entamèrent pas la volonté du Père Charriez de doter l’église Saint-Jean d’un clocher digne de ce nom. Aussi se rapprocha-t-il de l’évêché où le nouveau Cardinal, Ferdinand Donnet, en place depuis 1837, avait déjà lancé « le plus formidable mouvement de restauration et de reconstruction d’édifices religieux que la Gironde ait connu ».
Pour redonner du lustre à cette église Saint-Jean et sa nouvelle place, tout juste libérée de son encombrant cimetière, la proposition d’un clocher tour, à l’image de la Tour Pey Berland et de la Tour Saint Michel, fut avancée et applaudie. Cependant cette proposition resta en suspend face à d’autres priorités municipales.
Ce n’est qu’en 1851 que le Cardinal Donnet, publia une lettre pastorale aux habitants de la ville de Libourne « pour les exhorter à doter leur église d’un clocher convenable ».
Grâce au concours du Gouvernement, de la Fabrique, de la Commune et des paroissiens qui souscrivirent généreusement, le clocher put être construit de 1855 à 1859.
Malheureusement le Père Charriez n’était plus là pour assister à ce spectacle d’envergure. Désireux de mener à bien un projet qui lui tenait à cœur, celui de créer une nouvelle congrégation de prêtres pauvres et missionnaires, le « saint de Libourne » s’en était allé vers d’autres cieux, après 25 années de bons et pieux services, laissant libre la cure de Libourne à l’abbé Chabannes, heureux instigateur de l’érection du nouveau clocher.
C’est l’architecte Duphot qui fut choisi pour mener à bien le projet et c’est lui qui décida d’accoler le clocher à l’église plutôt que d’en faire une tour séparée. Selon lui, c’était la meilleure façon de cacher les stigmates de l’ancien clocher mur dont les travaux étaient restés inachevés.
Mais dans le même temps, Duphot fut appelé à la restauration de Notre Dame de Verdelais et c’est ainsi que le projet de création du clocher de l’église Saint-Jean échoua dans les mains de l’architecte diocésain Pierre Labbé recommandé par le Cardinal Donnet pour son zèle, son instruction et son intelligence. On vit alors s’élever dans le ciel de Libourne, au dessus des cloches et de leur campanile, une flèche de toute beauté qui allait marquer à jamais la ville de son empreinte.









Une nouvelle Flèche ?


Ainsi naquit le magnifique clocher de l’église Saint-Jean Baptiste. C’était il y a 160 ans. Visible à des lieux à la ronde, il fait partie à tous égards de l’identité de la ville de Libourne au même titre que son Hôtel de Ville,  sa Tour du Grand Port, son Ecole de Gendarmerie, sa Chapelle de Condat pour ne citer qu’eux.

Où que l’on se trouve dans la plaine entourant la ville ou sur les coteaux surplombant la palus, des Dagueys jusqu’à Branne, en passant par Créon, la flèche de Saint-Jean apparaît comme une balise en pleine mer, comme un phare dans la nuit.

Elle indique l’arrivée en terre promise, la bastide du confluent, berceau de la Sainte Epine et port aux mille navires…




Le clocher de l'église Saint-Jean, aquarelle C.Desveaux



Sa déconstruction, en vue de travaux de restauration urgents après la découverte d’une faille béante et la chute de plusieurs clochetons, laissera un grand vide dans le cœur des Libournais et dans le paysage de la ville mais l’espoir de la voir renaître de ses cendres, deux siècles après le cri d’alerte du Père Charriez, adoucira notre peine et la commuera en une attente teintée de joie et d’espérance. 


                                                                                           
                                                                                            Camille






Aquarelles et photos sans légendes de Camille Desveaux
Photos Les Amis de Saint-Jean https://amis-de-saint-jean.com
Photo Norbert Jung https://norbert-jung.com

Pour en savoir plus: 
Il était une fois la Sainte Epine de Libourne, Camille Desveaux, Les Editions Pierres Vivantes, 2016, 80 pages.

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