LIBOURNE
La fabuleuse histoire
La fabuleuse histoire
du
clocher de l’église Saint-Jean
Le clocher de l'église Saint-Jean, aquarelle C. Desveaux |
Le saviez vous ?
Avant la construction du
clocher de l’église Saint Jean-Baptiste de Libourne, au début du XIXème siècle,
la place Saint-Jean telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait
pas : autour de l’église se dressait un immense cimetière entouré de murs
élevés qui offrait à l’endroit une atmosphère sombre et lugubre. L’église,
beaucoup plus petite, avait été fort malmenée durant la Révolution Française et
menaçait tout bonnement de s’écrouler accentuant encore la sensation de
désolation du quartier.
Comble de malheur, la célèbre
Sainte Epine*, offerte par charlemagne aux
habitants de la ville en l’an 811, avait disparu depuis qu’un révolutionnaire
s’en était emparé et l’avait brisée en deux morceaux.
En l’espace de 10 ans,
l’église Saint-Jean était passée du rang d’église paroissiale à celui de Temple
de la Raison où se réunissaient les révolutionnaires et enfin à une simple
ruine. Tout ce qu’elle recélait de métal avait été fondu pour fabriquer des
armes et les objets qui n’avaient pu être mis en lieu sûr, comme les autels ou
les tableaux, avaient été réduits en cendre. Triste fin pour un célèbre
monument…
L'église Saint Jean-Baptiste de Libourne, dessin du peintre Léo David |
* La
Sainte Epine de Libourne est l’une des huit épines de la Couronne du Christ
offerte à Charlemagne par le Sultan Haroun al Rachid en l’an 800. Charlemagne
en fit cadeau aux habitants de Condatis (le Confluent, premier nom de Libourne)
pour les remercier de l’avoir logé lui et ses troupes lors de la construction
du château de Fronsac, au dessus du tertre éponyme d’où il livra et remporta la
bataille sur le duc d’Aquitaine en 769.
Le retour de la Sainte Epine
Heureusement, un événement
inattendu marqua le début d’une lente résurrection.
En 1802, la Sainte Epine qui
avait disparu durant ces temps obscurs où l’intolérance régnait, fit son retour
sur le devant de la scène. Elle fut remise au maire de la Ville et au curé de
Saint-Jean par un homme qui avait participé au sac de l’église pendant la
Révolution et qui, dans un sursaut de lucidité, avait rattrapé l’épine cassée
des mains de son ami révolutionnaire afin de la cacher chez lui et n’en
souffler mot à personne.
Au moment du Concordat, quand
le culte fut officiellement rétablit, cet homme qui se nommait Noël Janeau,
notaire de son état, décida de se
racheter en rendant à la Ville l’objet qui faisait sa fierté depuis près d’un
millénaire.
Monseigneur d’Aviau, alors
archevêque de Bordeaux, ordonna immédiatement une enquête au sujet de la sainte
Relique* qui dura près de quatre années.
L’authentification ayant été concluante, l’archevêque la dota d’un magnifique
reliquaire d’argent et y apposa son sceau. Le 4 avril 1808, il vint à Libourne
en personne pour présider l’ouverture solennelle d’un grand jubilé.
C’est le
joaillier Pierre Nolin qui fut chargé de réparer l’Epine sacrée et la sertir
d’un anneau d’or. Cet anneau est encore bien visible aujourd’hui.
La Sainte Epine de Libourne, Cl. Norbert Jung |
* Les
saintes Reliques sont les reliques attribuées au Christ. Leur sacralité
garantissait à leurs possesseurs (Constantin Ier, Charlemagne, Saint Louis…)
une puissance spirituelle et politique extraordinaires qui les plaçait à mi
chemin entre le ciel et la terre.
Parmi
les saintes Reliques, on trouve : les clous de la Passion, la Vraie Croix,
la sainte Couronne et ses épines, une centaine environ (dont celle de Libourne
offerte à Charlemagne par le Sultan Haroun al Rachid), le saint Calice, le
Voile de Véronique…
L’homme qui sauva l’église Saint Jean
En 1819 arriva à Libourne le
jeune abbé Charriez tout juste sorti du séminaire de Saint Sulpice à Paris. Ce fringant
capitaine d’artillerie à la carrière toute tracée venait de lâcher les armes,
après une conversion fulgurante, pour se revêtir de l’armure de Dieu. Dès
son arrivée à Libourne, il fut apprécié pour son zèle, sa foi inébranlable et
son amour des plus faibles. Installé à Libourne en tant que vicaire, il
secondait l’abbé Rouquet, alors curé de la ville. Il consacrait une partie de
ses journées à l’enseignement du catéchisme aux plus jeunes et aux déshérités
et l’autre à la confession. En 1834, Le Cardinal de Cheverus le nomma curé de
Libourne, à la place de l’abbé Rouquet vieillissant qui avait lui-même demandé
à l’évêque la nomination de son jeune protégé. A partir de ce moment, celui que
l’on appelait familièrement le Père Charriez, tant il était aimé des
Libournais, se mua en véritable fondateur et couvrit la commune d’institutions
toutes plus importantes les unes que les autres dont certaines existent
toujours aujourd’hui. Le Cardinal de Cheverus, qui l’appréciait par dessus
tout, disait de lui qu’il était « le meilleur d’entre les
meilleurs ».
- Une école gratuite pour les enfants pauvres
- Le collège des Frères des Ecoles Chrétiennes
- Un asile
pour les domestiques au chômage
-
Une
école pour jeunes filles pauvres
-
Un
orphelinat (l’orphelinat François Constant)
-
La
Société des Amis Chrétiens
-
La
Société Saint Vincent de Paul
Mais aussi :
-
La Miséricorde
-
Le Carmel (qui a fermé en 1992)
- La
Congrégation religieuse Sainte Marie de la Famille (qui a fusionné en 2005 avec
une autre congrégation) destinée aux soins des malades et à l’enseignement des
pauvres
Très vite les libournais
prirent en estime ce jeune prêtre qui ne ménageait pas sa peine pour venir en
aide aux plus pauvres. Il leur donnait
tout ce qu’il possédait si bien qu’on l’appela très vite « le saint de
Libourne ». Mais le Père
Charriez était aussi un homme fort instruit et passionné d’histoire. C’est lui
qui alerta le premier les autorités sur l’état de vétusté et de dangerosité de
l’église Saint-Jean. Sa ténacité et sa volonté émurent le Duc Decazes* natif de Libourne et très attaché à la commune, le
maire et tous les habitants de la ville. En 1837 débuta un grand chantier de
rénovation…
Elie Decazes, huile sur toile François Gérard (1777,1837) |
* Elie Decazes, natif du Libournais, fut ministre de la Police
puis ministre de l’Intérieur pendant la Restauration. Instigateur du Pont de
Pierre à Libourne, il offrit également une somme importante à la fondation de
l’hôpital (Cloître des Récollets). Dans les années 1820, il fit don au Musée
des Beaux Arts de plusieurs œuvres de sa propre collection et du Musée du
Louvre. Il offrit à l’église Saint-Jean Baptiste un tableau monumental de
Bartoloméo Manfredi, Jésus chassant les marchands du Temple, exposé aujourd’hui
au musée de la ville.
La reconstruction de l’église Saint Jean-Baptiste de
Libourne
Les travaux d’envergure que
connut l’église Saint Jean-Baptiste après la nomination du Père Charriez comme
curé de Libourne s’apparentent plus à une reconstruction qu’à une restauration. Ayant convaincu le ministres des
Cultes (avec le concours du Duc Decazes), la Municipalité et le Conseil de
Fabrique de l’église (groupe de laïcs administrant les biens de la paroisse),
Charriez remania profondément l’église grâce à l’entrepreneur Rocherol (appareilleur
du pont sur la Dordogne) et l’architecte Lapeyre.
Les travaux commencèrent en 1837, peu de temps avant le transfert du cimetière alentour au lieu dit "La Paillette" par arrêté préfectoral (1838). On trouva 10 niveaux d'enfouissement de tombes confirmant la grande ancienneté du lieu. Une nouvelle ère commençait pour l’église Saint-Jean.
Les travaux commencèrent en 1837, peu de temps avant le transfert du cimetière alentour au lieu dit "La Paillette" par arrêté préfectoral (1838). On trouva 10 niveaux d'enfouissement de tombes confirmant la grande ancienneté du lieu. Une nouvelle ère commençait pour l’église Saint-Jean.
Le choeur de l'église Saint Jean-Baptiste |
La chapelle Saint Antoine de Padoue (cl. Amis de Saint Jean-Baptiste de Libourne) |
Le clocher primitif
Pendant les travaux, se posa
rapidement la question du clocher, en effet, l’ancienne église possédait un
clocher intérieur, pas très élevé et de forme carrée* (cf le dessin du peintre Léo David) qui empêchait
l’agrandissement de la nef à sa juste mesure. L’édification d’une nouvelle
façade fut décidée comme conséquence de la démolition du clocher primitif et le
1er mai 1839 eut lieu la cérémonie de la pose de la première pierre
d’un frontispice qui devait le remplacer. Mais très vite s’éleva un tollé de
protestations devant à un frontispice que beaucoup trouvait de fort mauvais
goût. En 1841, la Commission des Monuments historiques de la Gironde
écrivait : « une construction informe, sans rapport aucun avec le style de l’édifice a été
appliqué à sa façade ; des projets sans goût ont été adoptés ; le
maçon a travaillé et aujourd’hui le mal est sans remède. »
Ou presque, car de l’avis de
tous, l’œuvre fut abandonnée pour un projet plus ambitieux et esthétique. Ainsi
resta inachevée l’œuvre dessinée par Lapeyre et façonnée par Rocherol, œuvre
dont on peut encore aujourd’hui apercevoir les stigmates de part et d’autre du
nouveau clocher.
Dessin du frontispice de l'église Saint-Jean (Archives Amis de Saint Jean-Baptiste de Libourne) |
* Ce clocher fort ancien, selon
les découvertes faites pendant les travaux, devait avoir possédé une flèche lui
aussi car les Cordeliers dans leurs chroniques relatent le tremblement de terre
du 2 février 1427 qui fit s’effondrer la flèche du clocher sur la toiture de
l’église remplie de paroissiens pour la messe de la Chandeleur. Grâce à
l’excellent état de la charpente, il n’y eut aucune victime. A la différence de
la toiture de l’Hôtel de Ville, alors en construction, qui s’enflamma et
répandit l’incendie à toutes les maisons attenantes. On dit que c’est grâce à
la Sainte Epine, brandie par un frère Cordelier que le feu s’éteignit et qu’il
n’y eut aucune victime à l’intérieur de l’église. C’est l’un des miracles de la
Sainte Epine racontés sur les vitraux de l’église de l’Epinette.
Le nouveau clocher
Ces péripéties n’entamèrent
pas la volonté du Père Charriez de doter l’église Saint-Jean d’un clocher digne
de ce nom. Aussi se rapprocha-t-il de l’évêché où le nouveau Cardinal,
Ferdinand Donnet, en place depuis 1837, avait déjà lancé « le plus
formidable mouvement de restauration et de reconstruction d’édifices religieux
que la Gironde ait connu ».
Pour redonner du lustre à
cette église Saint-Jean et sa nouvelle place, tout juste libérée de son
encombrant cimetière, la proposition d’un clocher tour, à l’image de la Tour
Pey Berland et de la Tour Saint Michel, fut avancée et applaudie. Cependant
cette proposition resta en suspend face à d’autres priorités municipales.
Ce n’est qu’en 1851 que le
Cardinal Donnet, publia une lettre pastorale aux habitants de la ville de
Libourne « pour les exhorter à doter leur église d’un clocher convenable ».
Grâce au concours du
Gouvernement, de la Fabrique, de la Commune et des paroissiens qui
souscrivirent généreusement, le clocher put être construit de 1855 à 1859.
Malheureusement le Père
Charriez n’était plus là pour assister à ce spectacle d’envergure. Désireux de
mener à bien un projet qui lui tenait à cœur, celui de créer une nouvelle
congrégation de prêtres pauvres et missionnaires, le « saint de
Libourne » s’en était allé vers d’autres cieux, après 25 années de bons et
pieux services, laissant libre la cure de Libourne à l’abbé Chabannes, heureux
instigateur de l’érection du nouveau clocher.
C’est l’architecte Duphot qui
fut choisi pour mener à bien le projet et c’est lui qui décida d’accoler le
clocher à l’église plutôt que d’en faire une tour séparée. Selon lui, c’était
la meilleure façon de cacher les stigmates de l’ancien clocher mur dont les
travaux étaient restés inachevés.
Mais dans le même temps,
Duphot fut appelé à la restauration de Notre Dame de Verdelais et c’est ainsi
que le projet de création du clocher de l’église Saint-Jean échoua dans les
mains de l’architecte diocésain Pierre Labbé recommandé par le Cardinal Donnet
pour son zèle, son instruction et son intelligence. On vit alors s’élever dans
le ciel de Libourne, au dessus des cloches et de leur campanile, une flèche de
toute beauté qui allait marquer à jamais la ville de son empreinte.
Une nouvelle Flèche ?
Ainsi naquit le magnifique
clocher de l’église Saint-Jean Baptiste. C’était il y a 160 ans. Visible à des
lieux à la ronde, il fait partie à tous égards de l’identité de la ville de
Libourne au même titre que son Hôtel de Ville,
sa Tour du Grand Port, son Ecole de Gendarmerie, sa Chapelle de Condat
pour ne citer qu’eux.
Où que l’on se trouve dans la
plaine entourant la ville ou sur les coteaux surplombant la palus, des Dagueys
jusqu’à Branne, en passant par Créon, la flèche de Saint-Jean apparaît comme
une balise en pleine mer, comme un phare dans la nuit.
Elle indique l’arrivée en
terre promise, la bastide du confluent, berceau de la Sainte Epine et port aux
mille navires…
Le clocher de l'église Saint-Jean, aquarelle C.Desveaux |
Sa déconstruction, en vue de
travaux de restauration urgents après la découverte d’une faille béante et la
chute de plusieurs clochetons, laissera un grand vide dans le cœur des Libournais
et dans le paysage de la ville mais l’espoir de la voir renaître de ses
cendres, deux siècles après le cri d’alerte du Père Charriez, adoucira notre
peine et la commuera en une attente teintée de joie et d’espérance.
Camille
Aquarelles et photos sans légendes de Camille Desveaux
Photos Les Amis de Saint-Jean https://amis-de-saint-jean.com
Photo Norbert Jung https://norbert-jung.com
Pour en savoir plus:
Il était une fois la Sainte Epine de Libourne, Camille Desveaux, Les Editions Pierres Vivantes, 2016, 80 pages.
Photos Les Amis de Saint-Jean https://amis-de-saint-jean.com
Photo Norbert Jung https://norbert-jung.com
Pour en savoir plus:
Il était une fois la Sainte Epine de Libourne, Camille Desveaux, Les Editions Pierres Vivantes, 2016, 80 pages.