La Sainte Epine de Libourne |
Zoom sur la Sainte Epine de Libourne
Chers amis, chers lecteurs,
Vous connaissez tous
désormais l’histoire de la célèbre épine présumée de la Couronne du Christ qui
orne le coffre fort de l’église Saint Jean-Baptiste de Libourne. Parmi toutes
celles qui existent dans le monde, elle ferait partie des huit offertes à
l’empereur Charlemagne par Haroun al Rachid, le célèbre calife de Bagdad, bien
avant l’arrivée de la Sainte Couronne à Paris à la demande de Louis IX et bien
avant l’engouement pour le culte des reliques qui tendit à jeter des zones
d’ombre sur l’authenticité de nombre d’entre-elles.
En effet, si le culte des
reliques commence dès l’époque paléochrétienne à l’initiative des disciples de
Jésus puis celle de l’empereur Constantin, il n’était pas encore, au temps de
Charlemagne, l’apanage du plus grand nombre mais bien celui des puissants.
Alors pourquoi ces objets, si
petits soient-ils pour certains, ont eu, dès le début de notre ère, un impact
si important qu’il perdure aujourd’hui ? En témoignent la Couronne
d’Epines sortie en grandes pompes tous les premiers vendredis du mois sous la
garde des Chevaliers du Saint Sépulcre ou le Saint Suaire de Turin qui suscite
autant de convoitises que de méfiance.
Une Sainte Relique
Parce que ce sont des Saintes
Reliques c’est à dire les reliques attribuées au Christ. Tous ces objets ont la
particularité d’avoir touché Jésus au moment de sa Passion et en auraient perçu
sa force de vie, sa puissance surnaturelle qui guérissait les malades et
ressuscitait les morts.
Revenons deux mille ans en
arrière : les miracles opérés par Jésus en ces temps incertains où la
mortalité était bien supérieure à celle que nous connaissons aujourd’hui,
représentaient une lueur d’espoir, parfois la seule, pour tous les malades, les
infirmes ou les laissés-pour-compte qui peuplaient les villes et les campagnes
en grand nombre. Or la réputation de thaumaturge de Jésus attirait déjà des
foules immenses et parmi elles, des personnes qui, plus que tout, souhaitaient pouvoir
le « toucher ». Car elles savaient, elles avaient la certitude en
leur cœur que cet homme possédait une puissance divine, elles croyaient en lui.
Ce contact avec le Divin est
tout à fait nouveau du temps de Jésus. Jusque là Dieu était intouchable, les
lieux sacrés, comme le mont Sinaï, le Temple de Salomon, étaient interdits mais
Jésus vient bouleverser l’ordre des choses et permettre aux plus petits d’entre
tous de le toucher ou de se laisser toucher par lui et ainsi de guérir.
Cependant, cette grâce n’était pas attribuée à tout le monde. Toutes les
personnes guéries avaient un cœur préparé à recevoir cette faveur, un cœur où
les souffrances vécues n’avaient pas réussi à ternir l’espérance et la volonté
de croire en leur guérison, le désir profond de changer de vie et de revenir à
l’essence même de cette vie.
A la fin du ministère de
Jésus, les foules le suivaient par milliers mais seules les personnes qui avaient
réussi à toucher Jésus, comme la femme qui souffrait d’hémorragies depuis douze
ans, ou à se laisser toucher par lui, comme le lépreux ou l’aveugle-né,
guérissaient.
Jésus guérissant l'aveugle-né (Musée des Beaux-Arts, Nantes) |
Voilà pourquoi, après la mort
du Christ sur la Croix et sa mise au tombeau, tous les objets qui l’avaient
touché avant ou pendant sa Passion furent récupérés et conservés secrètement
par ses disciples. La Résurrection contribua encore à leur prestige puisqu’ils
étaient désormais les seules preuves tangibles de l’incarnation du Dieu vivant
dans le monde des hommes. Ils sont devenus les symboles de sa présence parmi
nous et les dépositaires de sa force divine.
Mais que restent-ils de ces
Saintes Reliques et comment sont-elles arrivées jusqu’à nous ?
Les Saintes Reliques
regroupent plusieurs objets dont les linceuls et instruments de la Passion mais
aussi la Vraie Croix, la colonne de la Flagellation, l’escalier du prétoire de
Ponce Pilate (la Scala Santa)…
Parmi les linceuls : le
Saint Suaire de Turin qui aurait enveloppé Jésus quand il fut mis au tombeau et
retrouvé par terre après sa résurrection, le suaire d’Oviédo qui aurait entouré
sa tête, la voile de Véronique qui aurait essuyé le sang de Jésus sur le chemin
de croix.
La puissance politique des Saintes Reliques
Si la légende veut que ce soit
la mère de l’empereur Constantin qui découvrit la première les reliques de la
Passion en 326 c’est que jusqu’à cette date, les disciples de Jésus souffraient
des persécutions romaines les obligeant à parler un langage de signes pour se
reconnaître entre-eux et tenir secrets les objets touchés par leur Maître. Dès
cette époque les Saintes Reliques étaient déjà considérées comme thaumaturges
c’est à dire miraculeuses et c’est l’empereur Constantin qui, le premier, s’en
servit pour asseoir sa puissance temporelle aux yeux du monde. Il inséra l’un
des deux clous de la Crucifixion dans le mors de son cheval, l’autre dans le
diadème impérial afin d’assurer sa protection et celle de l’empire tout entier.
Il déposa la relique de la Vraie Croix dans une immense statue de bronze à son
effigie mesurant plus de 38m.
A Jérusalem, l’empereur
romain converti au christianisme, fit ériger des chapelles sur des lieux de la
vie de Jésus et les trois grottes mystiques : celle de la Nativité, de
l’Ascension et de la Passion. Enfin il fit construire un vaste sanctuaire sur
le Golgotha, où le Christ avait été crucifié, plus connu aujourd'hui sous le
nom de Saint Sépulcre.
Pour l’empereur, la
possession de ces reliques était un symbole de puissance extraordinaire le
plaçant à mi chemin entre le ciel et la terre, bien au dessus de ses
condisciples. Elles assuraient par leur force miraculeuse la protection
collective, elles-mêmes porteuses du pouvoir du Christ.
C’est dans ce même Esprit que
cinq siècles plus tard, l’empereur Charlemagne désira gouverner l’occident. Il
fit parvenir d’Orient un grand nombre de reliques de la Passion de Jésus dont
huit épines de la Sainte Couronne et un morceau de la Vraie Croix.
La tradition veut qu’il ait
offert l’une des épines de son trésor d’Aix la Chapelle à la ville de Condatis
(premier nom de Libourne) pour l’avoir hébergé lui et ses troupes pendant la
construction du château de Fronsac, bastion qui lui servit à éliminer le
dernier rempart à son pouvoir en Aquitaine : le duc Hunald Ier.
Depuis cette date, l’épine n’a
plus quitté la ville, soit près de 1200 ans de présence intra-muros et les
frères de Saint François d’Assise, les Cordeliers, installés dans la bastide en
1286, n’eurent de cesse de répertorier et conserver minutieusement dans leurs
archives, l’histoire de cette précieuse relique miraculeusement arrivée sur le
sol Libournais au début du IXème siècle.
Aliénor devant la Sainte Epine |
Il faut savoir que les
Plantagenêt furent de grands défenseurs du culte des reliques. Fervents
lecteurs de la légende arthurienne, Henri Plantagenêt et ses fils, les rois
Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre ont largement diffusé la légende du
Graal et assis leur pouvoir sur la possession des reliques du Christ et des
saints.
« Le royaume
d’Angleterre s’enorgueillissait dès le haut Moyen Âge de posséder plusieurs
saints rois martyrs. Lors des changements de dynastie, les nouveaux souverains
cherchèrent à établir leur légitimité par des gestes symboliques devant les
reliques de leurs saints prédécesseurs, soulignant ainsi la continuité de la
royauté. »[1]
C’est à Henri II Plantagenêt
que l’on doit la relique de Saint Amadour qui orne le chœur du sanctuaire de
Notre Dame de Condat. En effet, après avoir été guéri miraculeusement à
Rocamadour alors qu’il était sur le point de mourir, il décida de faire une translation
en grandes pompes de l’un des fémurs du saint entre les deux grands sanctuaires
mariaux de Rocamadour et de Condat (qui se situait et se situe toujours sur le
chemin de Saint-Jacques de Compostelle).
Ainsi la politique souveraine
d’Henri II et de Richard Cœur de Lion, à l’exemple de Constantin et de
Charlemagne puis de Saint Louis plus tard, se basait-elle avant tout sur le
principe divin de la monarchie.
A Libourne, cette tradition
ne dérogea pas, même après le départ des Anglais suite à la défaite à Castillon.
L’on peut dire même que c’est grâce à la Sainte Epine exaltée par Aliénor et
ses fils, puis par le Prince Noir et son épouse Jeanne de Kent, que les
français victorieux épargnèrent la ville (après avoir rasé le château de Condat).
En effet, fasciné par la
Sainte Relique, le roi de France Louis XI vint en personne à Libourne et
ordonna la reconstruction totale de la ville (très abîmée par l’armée
française) après avoir vénéré la Sainte Epine et l’avoir portée pieds nus en
habit de moine mors d’une grande procession.
Louis XI à Libourne |
Ainsi Libourne au Moyen Âge
était elle une ville de pèlerinage par excellence, la Sainte Epine et le
Sanctuaire marial de Condat ayant une réputation qui dépassait largement les
frontières du royaume. Des milliers de pèlerins se pressaient sur le parvis de
l’église de Condat trop petite pour les accueillir tous, ceux qui cheminaient
vers Saint-Jacques continuaient leur route en franchissant la Dordogne à Condat
avant de rejoindre la Sauve Majeure, Belin-Beliet puis l’Espagne par la Via
Turonensis. Ceux qui voulaient faire une halte étaient reçus à l’hôpital saint
James (ou Saint Jacques), le premier hôpital de Libourne, dont la chapelle est
devenue le temple de l’église protestante sur la place de la Croix Rouge à
Libourne.
Libourne n’était pas une
ville spécifiquement religieuse, elle était plus que cela, elle était une ville
sainte, porteuse d’un sanctuaire dédiée à la Vierge Marie où les guérisons
miraculeuses s’enchaînaient, accueillant la venue toujours plus nombreuse de
pèlerins de l’Europe entière, et surtout elle était dépositaire de l’une des
saintes Reliques du Christ.
Même le roi Louis XIV s’est
agenouillé à son chevet pendant la Fronde lorsqu’il passa un mois dans la
bastide de libourne avec sa mère.
Ni les désordres de la
Révolution Française, ni l’esprit anticlérical qui lui succéda, ne purent
effacer de la mémoire des libournais la force et les miracles opérés par la
Sainte Epine durant près de dix siècles. L’engouement qu’elle a toujours
suscité auprès de la population, même après le déclin du sanctuaire de Condat
et le départ des pèlerins, a marqué les esprits à jamais, suscitant des
mouvement de grande cohésion municipale, au delà de tous les idéaux politiques
et religieux, lors des processions solennelles en son honneur.
Le Maire et le Curé
caracolaient en tête, suivis par des milliers de personnes souhaitant vénérer à
leur manière l’objet qui avait façonné leur ville et en faisait la fierté depuis tant de siècles.
Les trois clefs
Un événement majeur marqua
l’histoire de la Sainte Epine, c’est la venue du Cardinal François de Sourdis
en l’an 1610 pour trouver une solution au devenir de l’épine sacrée au sein de
la commune. Devait-elle rester dans l’église Saint Thomas, première église de
la bastide, comme le désirait la confrérie de Saint Clair ? Devait-elle
être conservée dans l’église de l’Epinette comme l’avait voulu la Reine Aliénor
et le souhaitaient les Cordeliers ? Ou devait-elle être mise en valeur mais
aussi en sécurité dans la belle église Saint Jean-Baptiste devenue l’église
paroissiale de Libourne comme le demandaient le maire et les jurats ?
Le Cardinal de Sourdis à Libourne |
En Avril 1610, lors d’une
procession solennelle suivie par 9000 personnes, clergé, conseil municipal et
confrérie de Saint Clair en tête, le cardinal François d’Escoubleau de Sourdis,
maître de cérémonie, fit placer la sainte Epine dans un coffre fort enchâssé
dans l’un des murs du chœur de l’église saint Jean-Baptiste. Ce coffre avait la
particularité de posséder trois clefs : l’une pour le curé de Libourne,
l’autre pour le maire et la troisième pour le viguier des confrères de Saint
Clair.
Ainsi avait-il tranché la
question de la place de la sainte Epine au cœur de la cité.
Le débat fut clos et tout le
monde fut content.
Cet état de fait perdura
jusqu’à la Révolution Française où la laïcisation de l’Etat, devenue effective
en 1905 marqua un nouveau tournant dans l’histoire de la Sainte Epine de
Libourne. La confrérie de saint Clair ayant été dissoute à la Révolution comme
tous les regroupements religieux, seuls les membres du clergé conservèrent les
clefs du nouveau coffre dans lequel trône toujours la relique sacrée.
Aujourd’hui grâce aux
nouveaux éléments venant étayer l’histoire de la Sainte Epine de Libourne, sa
diffusion auprès du grand public par des ouvrages, des conférences mais surtout
des sorties afin d’être exposée aux yeux de tous, ramènent la lumière sur cet
objet sacré qui a entièrement façonné l’histoire de la bastide grâce à son
pouvoir temporel et spirituel.
Sans elle, Libourne ne serait
pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
Les vitraux de l'Epinette, onze baies racontant l'histoire de l'épine de la Couronne du Christ |
Le regain d’intérêt que suscite la sainte Relique au XXIème siècle, grâce au travail de mise en valeur historique et patrimoniale mais aussi grâce à ses ostensions lors de célébrations religieuses, ne doit pourtant pas gommer le caractère sacré de cet objet hors du commun dont l’histoire débuta sur la Couronne d’Epines du Christ il y a deux mille ans. Les expositions des Saintes Reliques dans le monde sont toutes teintées d’une grande solennité grâce à l’implication de confréries laïques ou d’ordre religieux comme les Chevaliers du Saint Sépulcre pour la Sainte Couronne à Notre Dame de Paris, ou celui de l’Ordre de Malte. Les ostensions du Saint Suaire de Turin n’ont lieu que très rarement et dans une ferveur religieuse immense attirant des gens du monde entier..
L’Idée de créer une confrérie
de la Sainte Epine de Libourne serait une nouvelle étape dans la mise en
lumière et la diffusion de son histoire à travers le monde. Elle renouerait
avec le passé historique de la bastide, rendant à ses principaux acteurs, les
trois clefs devenues virtuelles, l’une à la municipalité, l’autre à la paroisse
et la troisième à la confrérie dont la fonction, laïque, servirait de cadre aux
grandes célébrations patrimoniales ou religieuses de la Sainte Relique.
La confrérie des Baillis de Lalande de Pomerol |
En plus de l’aura
particulière que prendraient ces ostensions ou expositions dans un reliquaire
de verre, le rôle de la confrérie serait de recréer un lien social entre
pouvoir temporel et pouvoir spirituel, comme elle l’a toujours fait dans la
commune de Libourne depuis 1200 ans. Bref un facteur de cohésion municipale, en
dehors de tout idéal politique ou religieux, permettant à tous ceux qui le
désirent d’être touchés ou de pouvoir toucher la Sainte Relique du Christ, d’en
ressentir ou non sa force miraculeuse et de découvrir l’incroyable rôle qu’elle
joua et joue encore dans l’histoire de Libourne.
Camille
#Libourne #Sainte Epine #OPPAL
Pour plus d'informations:
Photographie de la Sainte Epine: Norbert Jung (https://norbert-jung.com/)
Photographies des vitraux de l'église de l'Epinette à Libourne
Camille Desveaux, "Il était une fois la Sainte Epine de Libourne", Laplante, Mérignac, 2017, 80 pages.
Photographie de la Sainte Epine: Norbert Jung (https://norbert-jung.com/)
Photographies des vitraux de l'église de l'Epinette à Libourne
Camille Desveaux, "Il était une fois la Sainte Epine de Libourne", Laplante, Mérignac, 2017, 80 pages.