Libourne et son château :
"les noces royales"
Synthèse historique
Depuis le
XVIIIème siècle, plusieurs historiens libournais se sont attachés à faire
revivre le château de Libourne, en dessiner les contours ou en restituer les
chroniques mais le résultat de leurs recherches reste limité face à la
réputation de la forteresse décrite dans de nombreux ouvrages historiques
d’envergure nationale et internationale.
Par exemple si l’on ne connait pas la forme
exacte que devait avoir le bâtiment, on sait avec exactitude ce qui s’y est
passé entre le Prince Noir, fils du roi d’Angleterre, et le futur connétable Du
Guesclin à l’automne 1367. C’est ici que
le Dogue Noir de Brocéliande (Du Guesclin) aurait lancé au prince de
Galles :
« Je
vous déclare et je m’ose vanter :
Il
n’y a pas une fileuse en France à travailler
Qui
ne tâcherait de gagner ma rançon à filer,
Et
qui ne voudrait de vos prisons ôter. »
Devant l’assistance ébahie, il fixa la plus
grosse rançon jamais demandée par un chevalier de petite noblesse. Cette déclaration
légendaire a rendu le château de Condat célèbre dans le monde entier et l’historien
Georges Minois en fait une longue description dans son ouvrage culte consacré à
Du Guesclin.
D’autres
évènements majeurs ont eu lieu au Château de Condat (dont le nom provient de la
première appellation de Libourne : Condatis, le confluent) : la mise en
place de la charte constitutive de la nouvelle bastide de Libourne, la
signature de nombreuses chartes importantes, ainsi que la signature du fameux
Traité de Libourne entre le Prince Noir et Pierre le Cruel, le 23 septembre
1366. Pierre le Cruel s’y engageait à dédommager grassement les anglais de leur
assistance si ces derniers l’aidaient à monter sur le trône d’Espagne. En gage
de fidélité il offrit au Prince Noir le fameux rubis qui orne toujours la
couronne impériale de la Reine d’Angleterre… seul bénéfice que retira le Prince
Noir de ce traité après la trahison de Pierre le Cruel lorsqu’il eut atteint
son but.
La fondation du château de
Condat
Plusieurs auteurs
attribuent à Guillaume VIII d’Aquitaine, la fondation du château de Condat. Cet
homme énergique et avisé fut l’un des grands restaurateurs de l’Aquitaine au
XIème siècle, trois siècles après Charlemagne. Sa piété, que le récent passage
de l’An Mil avait renforcée, se concrétisa par la fondation de nombreuses
églises et abbayes dont les plus importantes de la capitale bordelaise. C’était
l’époque où le chroniqueur Raoul Glaber disait que l’Europe tout entière,
secouant sa vétusté, se couvrait d’un blanc manteau d’églises…
Le choix de la
presqu’île de Condat aux portes de la ville éponyme n’était pas anodin, le lieu
était sacré : ancienne forêt des druides, jonchée de nombreuses sources
dont celle de la grande déesse Divona puis sanctuaire chrétien dédié à la
Vierge Marie dès le premier siècle après Jésus Christ, la presqu’île possédait
un caractère mystique et une situation géographique stratégique qui n’échappa
pas au Duc Guillaume VIII alias Gui-Geoffroy. En effet, en construisant un
château à l’entrée du grand méandre de la Dordogne, on pouvait contrôler les
entrées et les sorties des marchandises par voie fluviale, en amont de la
future bastide de Libourne.
Bien vite le
château des Ducs d’Aquitaine devint résidence royale de France lors du mariage
de l’arrière petite fille de Guillaume VIII, Aliénor d’Aquitaine avec le roi de
France louis VII, mais sa réputation s’accrut encore davantage avec le
changement de royauté dont il fut l’objet en 1152 lorsqu’Aliénor épousa en
secondes noces, Henri Plantagenet, futur Henri II, roi d’Angleterre. Pendant
trois siècles le château de Condat connut une prospérité sans précédent qui lui
valut les foudres de Du Guesclin et de l’armée française après la victoire de
Castillon en 1453 : le château fut totalement rayé de la carte.
La seigneurie de Condat et
Barbanne
Selon l’historien
Guinodie :
« La
seigneurie de Condat englobait non seulement les campagnes environnant le
village de ce nom, mais encore partie de celles comprises entre Libourne et la
Barbane dans le territoire de la commune. Les rois d’Angleterre en donnèrent
successivement les revenus et ceux de la terre de Barbane en Périgord, à divers
seigneurs anglais ou gascons ; les rois de France les vendirent aux maire
et jurats de Libourne : Henri IV fut le premier en 1595. Cependant les
officiers municipaux pour alléger les charges dont ils étaient accablés par la
possession de la seigneurie de Condat et Barbane, cédèrent, le dernier juillet
1627, au duc d’Epernon, par acte passé devant Justian, notaire royal, et pour
8,704l iv.19 s. et 6 d., le fief de Barbane et se réservèrent celui de Condat.
Les héritiers du duc furent contraints (1667) à payer au roi les taxes faites
sur les détenteurs des domaines ou leurs fermiers comme l’était sieur de
Calvimont, baron de Cros, seigneur des Tours de Montagne, depuis 1665 et
longtemps après. Alors Henri-Charles de Foix et de Candale, connu sous le nom
de duc de Foix jouissait du fief de Brabane ; il le réafferma au sieur
Montramblan de Saint-Emilion par acte passé par devant Boyer, notaire royal à
Bordeaux, en 1711. (…)
Quoi qu’il en soit, le château de Condat
avait sans doute biens des agréments : les rois d’Angleterre négligeaient
rarement d’y passer quelques jours lorsqu’ils venaient dans la Guienne. Henri
III y était en 1243, Edward Ier y vint plusieurs fois, le sénéchal de Guyenne y
tenait quelquefois ses assises ; le prince et la princesse de Galles y
reçurent les rois de Castille et de Majorque en 1367. Du Guesclin, pour s’y
être vu prisonnier de ce prince le dégrada en 1377 ; Richard II le fit
réparer en 1394 ; enfin les soldats de Charles VII le détruisirent en
1453. Sa chapelle lui survécut et si on l’agrandit c’est parce qu’elle fut
l’objet d’une grande vénération ».
Mais où était donc le château
de Condat ?
Selon Christian Martin, en 1895, M. de Séguin, propriétaire du domaine du Caillou, et Monsieur Rocherol, entrepreneur, découvrirent des restes de murs dans le parc de la propriété située face à la chapelle de Condat. Des murs de forme circulaire évoquèrent les vestiges de deux tours; ce qui permit de penser que les restes du château avaient été retrouvés. Ces maçonneries furent remises au jour par les allemands en 1940, lors de l'aménagement d'un tennis. En 2001, une prospection archéologique, permis d'identifier ces substructions comme les restes d'un établissement gallo-romain antique, et non comme ceux d'un château médiéval. La topographie des lieux nous amène donc à localiser le château de Condat au Nord de la Chapelle, à « la Capelle », à proximité de l'ancienne école.
La reconstitution du château de
Condat (sur
configuration actuelle du lieu)
Selon tous les
historiens, sa forme devait s’apparenter aux forteresses du XIème siècle,
carrée et certainement flanquée de quatre tours.
Une immense
muraille ceinturait le domaine s’étendant
« du rivage, au couchant et au nord de la maison Darsac, nous dit
Souffrain, le long d’un grand chemin qui n’est plus qu’une route, jusqu’au
canton appelé de Lacroix ; ensuite tournant au midi, elle entourait par
une chaussée assez élevée le bosquet appelé l’Ormière, la chapelle (…) et se
prolongeait au couchant vers la rivière. »
Les deux piles que l'on connait aujourd'hui, appartenaient peut-être à
cette enceinte dont le tracé s’efface des mémoires et du sol au fil des ans. En
effet, Souffrain date son histoire de Libourne en 1806 et fut témoin des
nombreuses transformations que connut la ville après la Révolution Française.
Il raconte comment, ils découvrit lui-même, lors de travaux effectués dans le
jardin de Monsieur Darsac, des « toises de fondements ou fortes murailles
(…) couvertes de terres cultivées ».
Conclusion
Voilà ce que l’on sait peu ou prou du
château de Condat. Mes dernières recherches m’ayant fait découvrir que c’est la
source sacrée de Condat (cf "Il était une fois... La Chapelle de Condat") qui permit l’installation du château à côté de la chapelle. Voilà
pourquoi la chapelle était située à l’extérieur du château. Cette dernière
était déjà célèbre avant que Guillaume VIII ne décide de faire de la presqu’île
de Condat un haut lieu de pèlerinage et une seigneurie de renom. Si le
parallèle (actuellement à l’étude) entre la fameuse muraille du château de
Condat et les deux piles de l’entrée de l’impasse La Capelle se démontrait,
alors il serait permis de penser à juste titre que ces larges colonnes seraient,
avec la Chapelle de Condat, les derniers vestiges de la puissante seigneurie
éponyme…
Pour cela, il faut absolument situer la
maison du fameux sieur Darsac qui, si elle s’avérait être celle de Mr Fournial,
serait une preuve de l’origine seigneuriale des piles.
Alors continuons à sauver Condat (l’âme de
Libourne), car les recherches de cette presqu’île exceptionnellement riche sur
le plan historique et spirituel nous réservent encore de belles surprises!
Camille Desveaux
(Texte et aquarelles Camille Desveaux)