Plus haut que le vol des oiseaux !
Journée de l'OPPAL à ROCAMADOUR (04/06/16)
Comment aurions-nous pu savoir ?
Comment aurions-nous pu l’imaginer ?
Rocamadour n’est pas un lieu comme un autre.
La ville surmontée de son sanctuaire, s’étire
à flanc de rocher depuis le sombre val d’Alzou jusqu’au monde lumineux des
puissances célestes, bien au dessus du vol des oiseaux.
On ne s’y promène pas, on chemine. On n’y
déambule pas, on progresse.
Comme si chaque pas devenait une marche vers
l’éternité…
Mais pourquoi Rocamadour ? Quel rapport avec Libourne ?
Ceux qui me
connaissent, connaissent aussi la réponse : à cause des reliques d’un
certain Sanctis Amatoris (Saint Amadour) conservées dans le chœur de la
chapelle de Condat à Libourne. Que viennent-elles faire là ? Qui les a
amenées ? Pourquoi Saint Amadour ? Autant de questions qui me
taraudent depuis des années auxquelles je souhaitais répondre grâce à une
visite privée exceptionnelle de Madame Laurence du Peloux, guide officiel du
sanctuaire de Rocamadour.
Dès le début, en l’écoutant,
que dis-je, en buvant ses paroles, j’ai vite compris que notre voyage
découverte allait se transformer en voyage intérieur, sorte de quête initiatique
dont chacun est maître : maître de se laisser guider au tréfonds de son
cœur…
L’ascenseur céleste
Une fois montées les 216 marches qui nous extirpent du monde,
c’est à dire du tumulte des vivants, nous arrivons au cœur de la falaise, dans
l’antre de la Vierge : Notre Dame de Rocamadour.
Là, au centre du
rocher se dresse un paysage de pierres façonné par l’homme en autant de
chapelles qu’il n’en faut pour s’élever jusqu’au sommet. Sept au total, le
chiffre de la perfection, de la réalisation, des retrouvailles du ciel et de la
terre, bref le chiffre de l’humanité transcendée. Ce même chiffre que l’on
retrouve dans la Genèse avec la création du monde et la bénédiction du
Tout-Puissant, c’est le passage de l’homme à Dieu, l’accomplissement divin.
Dans cette
antichambre sacrée, Laurence du Peloux nous décrit d’abord l’ancienneté du
lieu, avérée par les peintures rupestres de la Grotte Préhistorique des Merveilles datant de plus
de 20 000 ans. Situées à quelques kilomètres de la Dordogne, seule rivière
française à être classée par l’Unesco, Réserve mondiale de biosphère, les grottes
de Rocamadour s’ajoutent à toutes les cavités calcaires qui jonchent la région
et qui ont servi de premiers lieux d’implantation humaine préhistorique en
Europe.
D’emblée le ton est
donné : non seulement nos aînés dans l’échelle chronologique des temps
savaient ce qu’ils faisaient, mais en plus, ils développèrent très tôt, c’est
avéré désormais, une spiritualité primitive particulière dont l’essence jaillit
à travers les peintures pariétales et les objets funéraires sacrés déposés dans
leurs tombeaux.
Les hommes du quaternaire apprirent la valeur de la vie à travers le grand mystère de la mort.
Les hommes du quaternaire apprirent la valeur de la vie à travers le grand mystère de la mort.
Bien loin dans le
temps, les premières Terra Mata sculptées de leurs mains dessinent les prémices
d’une croyance innée en la terre matricielle et la nature fécondante. Les
hommes préhistoriques faisaient corps avec la nature, ils dormaient en elle à
même le roc, ils vivaient d’elle. Bien avant la devise de Rocamadour : « L’espérance
ferme comme le roc », ils espéraient eux aussi, de toutes leurs forces, être
exaucés par leur déesse préférée, la future Maïa druidique. Exaucés dans leur
quête vitale à travers l’abondance de gibier et la douceur du climat, mais
aussi exaucés dans leur quête de l’au-delà à travers la mort de ceux qu’ils
aimaient sur la terre.
Cette préfiguration
mariale de leur déesse mère n’était qu’une ébauche de la Divona des Celtes qui
peuplèrent la région au Vème siècle précédant le Christ. Le long du ruban sacré
de la Dordogne, les Bituriges à l’Ouest et les Cadurques à l’Est, vouaient le
même culte à la « Vierge qui devait enfanter le Libérateur, intermédiaire
entre la Divinité et l’Humanité ». C’est elle qui présidait à la « transmission de l’existence,
décidait de la longueur et de la brièveté de la vie, du bonheur ou du malheur
des personnes et enfin des richesses ou de la pauvreté des familles. »[1]
Un siècle avant la naissance du Christ, l’Archidruide des Carnutes avait prédit
la délivrance de leur déesse Maïa (ou Maïdhia), puissance créatrice spécialisée
à la terre…
L'enigme de Saint Amadour
En remontant l’échelle
des temps avec Laurence du Peloux, nous nous sommes heurtés à la grande énigme de
l’ermite Amadour dont la sainteté n’a jamais faibli jusqu’à aujourd’hui.
S’agissait-il d’un ascète de grande réputation qui aurait pris le nom du lieu,
Roca Major, la grande roche ? Ou du célèbre Amadour tout droit sorti de
l’Evangile qui aurait lui-même donné son nom au lieu ? Sans de longues
années de recherches et d’études, mon choix se serait naturellement porté sur la
première option, plus simple, plus crédible. Mais en suivant le fil de
l’histoire à travers des récits toujours plus proches de la naissance du
Christ, qu’ils soient hagiographiques, historiques ou spirituels, l’option de
facilité a laissé la place à celle de la connaissance. En sortant du contexte
prophétique de la Bible et en ne s’attachant qu’aux faits historiques, il est
facile de remonter jusqu’aux personnages qui ont entouré Jésus. De la Vierge
aux apôtres, ils n’ont cessé d’être suivis et vénérés jusqu’aux lieux de leur
mort naturelle ou de leur martyre. En attestent les tombeaux de Saint Pierre et
Saint Paul à Rome, la maison de la Vierge à Ephèse, la grotte de
Marie-Madeleine à la Sainte Baume, le tombeau de Saint Jacques à Compostelle,
le gisant de Saint Thomas à Mylapore, la Basilique de Sainte Véronique à Soulac ou la grotte de Saint Amadour à
Rocamadour…
Au Moyen Age, Rocamadour résonnait comme l’un des trois plus grands lieux de la Chrétienté après Jérusalem et Rome. Plusieurs grands saints, dont le théologien Jérôme, l’évêque Martial « l’Apôtre des Gaules », la mystique Catherine Emmerich et d’autres encore, attestent de l’identité d’Amadour qui aurait pris ce nom en devenant chrétien après une profonde conversion. En effet, c’est alors qu’il était méprisé par toute la population que Zachée le collecteur d’impôts, chercha à voir Jésus en montant sur un sycomore à cause de sa petite taille. Le Christ, l’apercevant, l’appela et lui demanda l’hospitalité. Zachée, bouleversé, offrit la moitié de son immense fortune aux pauvres et à ceux à qui il avait fait du tort, « quatre fois plus ! »[2]
Ce retournement total de la personnalité de
Zachée le fit surnommer Amadour : Celui qui aime. A partir de ce jour, il
devint l’un des plus fidèles disciples du Christ et fit la connaissance de
Véronique, fidèle amie de la Vierge Marie. Dans les Actes de Saint Amadour
rédigés par les Grands Bollandistes au Moyen Age et dans le récit de la vie de
Saint Martial, on trouve des fragments de textes d’origine très ancienne
remontant au Vème siècle attestant de ce fait. Amadour et Martial devinrent
d’inséparables amis et c’est sur ordre de Saint Pierre qu’ils auraient quitté
la Terre Sainte pour évangéliser l’Aquitaine. Après un long voyage, ils
accostèrent à Soulac, où, en compagnie de Véronique, ils érigèrent le sanctuaire
de Notre Dame de la Fin des Terres.
La découverte de 1166
La découverte de 1166
Comme l’histoire se
construit au fil du temps, la découverte d’un corps en 1166 dans le rocher
sacré du val d’Alzou, relança les recherches sur l’identité de Saint Amadour.
Il était facile de parler d’un saint déjà à l’époque car l’état de conservation
du corps et l’odeur parfumée qui s’en exhalait étaient tout sauf naturel. Cette
découverte se répandit alentour comme le feu sur la poudre. Partant d’une
banale inhumation d’un homme voulant être enterré près de la Vierge, la
découverte de ce corps durant le creusage fit grand bruit. Elle corroborait le
miracle du roi Henri II Plantagenêt, l’époux d’Aliénor d’Aquitaine, qui, par
deux fois, avait invoqué Notre Dame de Rocamadour au plus profond de la maladie.
Son état de santé était si grave qu’il avait pris ses dispositions testamentaires
et était venu en Pèlerinage remercier la Vierge pour sa guérison. C’était en
1170. En remerciement de cette grâce, Henri II, sur la route du retour vers
l’Angleterre, fit construire à Camaret sur Mer, en 1183, une chapelle dédiée à
Notre Dame de Rocamadour. Il faut dire qu’au crépuscule de sa vie, il avait
beaucoup de choses à se faire pardonner. Ne lui avait-on pas attribué la mort
violente de Thomas Becket qui avait été son meilleur ami avant de devenir son
plus farouche détracteur ?
Est-ce à cette époque que la chapelle de Condat devint le sanctuaire de renom que nous connaissons aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr car les sources littéraires locales, et notamment les chroniques des Cordeliers, font état de l’agrandissement de la chapelle par Aliénor d’Aquitaine et, à partir de 1159, des pèlerinages avec Henri II Plantagenêt à Rocamadour. Les deux souverains auraient-ils souhaité, comme à Camaret sur Mer, développer un lieu de pèlerinage à la Vierge près du château de Condat, un de leur lieu de villégiature préféré ? Ramenèrent-ils une relique du saint qui orne désormais le chœur du joli sanctuaire du confluent?
Nous ne le saurons peut-être jamais, mais ce
qui est sûr c’est qu’au delà d’une réelle authenticité plane la force d’une
vérité qui, elle, ne quittera jamais le cœur de tous les pèlerins du monde,
celle de l’amour.
Le chemin des pèlerins
La venue des
monarques anglais à Rocamadour augmenta considérablement le nombre des
pèlerins. Et Géraud d’Escorailles, abbé du sanctuaire pendant plus de trente
ans, de 1152 à 1188, devint l’un des plus habiles promoteurs du pèlerinage et
de l’agrandissement du sanctuaire grâce aux dons qui affluèrent de toutes
parts. C’est au même moment que débuta la rédaction du livre des miracles de
Rocamadour qui, depuis près de 900 ans, recèle les centaines de guérisons miraculeuses
obtenues au chevet de la Vierge noire, cette statue si particulière dont la
datation rejoint cette époque florissante.
Pour les pèlerins
d’aujourd’hui, une fois passée la Porte Sainte, la première halte a lieu au
chevet du Baptiste, la première des sept chapelles, ornée du baptistère. C’est
le passage obligé vers l’élévation, le credo de la foi chrétienne, le premier
des sept sacrements. Dans la chapelle trônent les portraits des grands
personnages qui sont venus prier Notre Dame de Rocamadour au cœur du rocher
éponyme : parmi eux, Saint Louis et sa mère Blanche de Castille, mais
aussi Roland dont on dit que l’épée, sa fidèle Durandal, se serait figée dans
le rocher sacré après sa défaite à Roncevaux, ou encore Louis XI… Tous
démarrèrent leur pèlerinage dans la pénitence sous la conduite de Jean Le Baptiste
vers Celui qui enlève le péché du Monde, l’Agneau de Dieu.
Ensuite le pèlerin
rejoint la chapelle du saint guérisseur Blaise, médecin puis évêque au IVème
siècle, invoqué contre les maladies de gorge ou les maux de dents. C’est le
début de la guérison de l’âme qui veut que, souvent, la guérison physique reçoive
la primeur sur la guérison spirituelle. Car l’on croit d’abord ce que l’on
voit…
Les trois chapelles
suivantes pourraient représenter le Saint des Saints du sanctuaire, la trinité
mariale. Tout d’abord nous sommes accueillis par Anne et Joachim les parents de
la Vierge qui, dans un décor ornemental baroque nous ouvrent le secret de leur
amour : leur fille si longtemps désirée, future mère du Sauveur.
Cette petite chapelle est l’antre de la majestueuse Basilique du Saint Sauveur, construite au temps des Plantagenêt. Agrandie au XIXème siècle et promue basilique en 1913 par Pie X, elle est désormais inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Ses deux nefs adossées à la paroi offrent une architecture unique dont les voûtes ogivales rappellent l’époque gothique.
C’est le trésor du sanctuaire, le lieu du cœur, là où trône le Sauveur du monde, représenté par le Bon Pasteur. « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » révèle Jésus dans l’Evangile. Le Christ offre sa miséricorde à la brebis perdue, laissant les 99 autres pour elle seule. Cette brebis, c’est chacun d’entre nous, perdu un jour ou l’autre autre dans une vie qui nous dépasse.
Il est le Berger, le Guide qui nous invite à suivre l’étoile pour venir le rejoindre : la Vierge Marie. Elle est là, tout près de son Fils, dans la chapelle miraculeuse qui lui est réservée. C’est elle qui fait monter vers Dieu les prières des fidèles, c’est elle qui console, qui rassure, qui entraîne à l’espérance.
Ici à Rocamadour le père Ronan de Gouvello, recteur du sanctuaire, est formel : « Faites très attention à ce que vous demandez, car c’est sûr, vous serez exaucés ! »
Cette petite chapelle est l’antre de la majestueuse Basilique du Saint Sauveur, construite au temps des Plantagenêt. Agrandie au XIXème siècle et promue basilique en 1913 par Pie X, elle est désormais inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Ses deux nefs adossées à la paroi offrent une architecture unique dont les voûtes ogivales rappellent l’époque gothique.
C’est le trésor du sanctuaire, le lieu du cœur, là où trône le Sauveur du monde, représenté par le Bon Pasteur. « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur » révèle Jésus dans l’Evangile. Le Christ offre sa miséricorde à la brebis perdue, laissant les 99 autres pour elle seule. Cette brebis, c’est chacun d’entre nous, perdu un jour ou l’autre autre dans une vie qui nous dépasse.
Il est le Berger, le Guide qui nous invite à suivre l’étoile pour venir le rejoindre : la Vierge Marie. Elle est là, tout près de son Fils, dans la chapelle miraculeuse qui lui est réservée. C’est elle qui fait monter vers Dieu les prières des fidèles, c’est elle qui console, qui rassure, qui entraîne à l’espérance.
Ici à Rocamadour le père Ronan de Gouvello, recteur du sanctuaire, est formel : « Faites très attention à ce que vous demandez, car c’est sûr, vous serez exaucés ! »
La fin du voyage
Qu’il est difficile de s’extraire de ce lieu, l’ambiance qui y règne ne laisse personne indifférent. Peu importe sa croyance, son incroyance, ici c’est le domaine de la paix des cœurs, le lieu où chacun dépose sa souffrance, sa supplique, sa louange aussi.
Le pèlerin sort groggy, il ne peut plus regarder en arrière, son premier réflexe est de lever les yeux vers le ciel. C’est alors qu’apparaît la chapelle Saint Michel, construite à même la roche, une chapelle troglodyte. A son sommet, une fresque orne les murs extérieurs. C’est la Visitation de la Vierge Marie à sa cousine Elisabeth, symbole suprême de la charité, amour mutuel des hommes entre eux au delà de toute haine. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » chante le Christ en nos âmes et « vous serez sauvés ». Non pas de l’Enfer ou d’un lieu imaginaire mais de nous-mêmes, de nos démons intérieurs, nos enfermements, notre misère. Et quand viendra le jour du grand face à face, la balance de l’archange Michel penchera en notre faveur…
Pour le pèlerin, le
voyage devrait s’arrêter là, aux portes du ciel, bien au dessus de la vie des
hommes, plus haut encore que le vol des oiseaux. Mais pour nous, chanceux
visiteurs du XXIème siècle, une surprise nous attend, une dernière chapelle, à
peine un peu plus basse que les autres, non loin du lieu où fut découvert le
corps attribué à Saint Amadour en 1166 : c’est l’ancienne chapelle Saint
Louis dédiée à Notre Dame d’Ovalie, patronne de tous les rugbymen, dont le père
Ronan est un joyeux spécimen. Chaque année un pèlerinage y a lieu pour tous les
pratiquants et amoureux du ballon ovale, preuve s’il en est, de l’universalité
du lieu, propre à tous les sanctuaires dédiés à la Vierge en France et dans le
monde.
C’est ainsi qu’après
deux heures et demi de conférence (merci Laurence !) nous avons pris le
chemin de la sortie, tout en haut du vertigineux chemin de croix, près du
château perché de Rocamadour.
Alors, me tournant une
dernière fois vers le rocher de la Madone j’ai compris le lien qui unissait
Condat à Rocamadour. Ce lien, c'est l'amour de deux reines, l'une pour son peuple, l'autre pour l'humanité toute entière, l’une de la terre, l’autre du Ciel,
toutes deux vivantes pour l’éternité : Aliénor d’Aquitaine et la Vierge
Marie.
Camille