Libourne, le jour de
Sainte Marie-Madeleine
(22 Juillet)
Dès la naissance de la bastide, le jour de Sainte Marie-Madeleine fut choisi pour élire le maire et les jurats de Libourne. Cette date était cruciale dans l’organisation municipale et administrative de la ville nouvelle.
Mais pourquoi ce jour en particulier ?
Quel lien pouvait-il y avoir entre les notables de Libourne et la plus célèbre disciple de Jésus?
Laissons aux Cordeliers, les frères mineurs de Saint-François d’Assise,
le soin du nous dévoiler ce secret…
Marie-Madeleine
Vitrail de l'église Saint-Jean-BaptisteLa naissance de la bastide de Libourne
En 1270, le chevalier Roger de Leybourne, fut dépêché à Condatis (ancien nom de Libourne), pour y construire ou plutôt pour terminer la construction d’une bastide commandée par le roi d’Angleterre Henri III. Les bastides, ces villes nouvelles du Moyen Age, étaient de véritables communes, c’est à dire des villes régies par un maire et ses représentants, bien loin de la configuration classique des anciennes villes seigneuriales. Calquées sur le modèle du camp romain avec leurs artères en damier et le forum au centre, les bastides furent de véritables foyers de la démocratie dès le début du XIIIème siècle. Elles s’organisaient autour de trois grands axes : démographiques, économiques et politico-stratégiques. En effet, l’idée première était de regrouper les populations dispersées dans les campagnes, sujettes aux nombreuses attaques extérieures. Cette concentration démographique permettait une mise en commun des savoir-faire et des intérêts financiers engendrant un réel essor économique. Situées à trente kilomètres au minimum les unes des autres, ces bastides, étaient en outre, de véritables places fortes, se faisant face et s’épiant selon la nationalité de leur fondateur, le roi de France ou celui d’Angleterre[1].
Près de 400 bastides furent construites dans le Sud-Ouest de la France en moins de 150 ans, entre 1222 et 1373. Elles s’inséraient dans un grand mouvement européen d’émancipation économique mais particulièrement, en Aquitaine, dans un conflit latent avec l’Angleterre depuis le mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre.
Il n’était pas rare de voir se côtoyer bastide anglaise et bastide française tels les pions ennemis d’un immense damier. En toile de fond, la guerre de Cent Ans se profilait…
L’élection du maire et des jurats
A Libourne, les élections du maire et des jurats avaient lieu le 22 juillet. D’abord les jurats, au nombre de douze, étaient élus par les bourgeois, c’est à dire les propriétaires de la bastide, le jour de la vigile de Sainte Marie-Madeleine. Ce jour là, ils élisaient deux prud’hommes dont l’un d’eux devait être désigné maire de la ville, le lendemain, jour de la Sainte Marie-Madeleine, par le grand sénéchal de Gascogne, à Bordeaux. Les élus ne pouvaient occuper leur fonction plus d’une année mais avaient le droit de se représenter au bout de deux ans d’inéligibilité. Pendant un an, le maire avait tout pouvoir, juridique et temporel, dont celui de vie ou de mort sur ses concitoyens.
Lors de la fondation de la bastide de Libourne, l’Hôtel de Ville ne fut pas construit immédiatement. Il fallut attendre l’année 1427 pour voir s’ériger l’imposant monument municipal. L’emplacement resta vide pendant 147 ans exactement.
Or durant tout ce temps, les élections avaient bel et bien lieu, mais où ?
Au magnifique cloître des Cordeliers qui s’étendait sur tout le périmètre de la poste actuelle et de la place René Princeteau, et bien plus encore.
Les Cordeliers à Libourne
Saint François d'Assise |
« L’Ordre de Saint François connut un tel succès au XIIIème siècle que les plus grands monarques choisirent les franciscains comme aumôniers, tels Saint-Louis qui les avait vu combattre à ses côtés lors de la Septième Croisade ou Edouard Ier roi d’Angleterre. Son père le roi Henri III avait pour conseiller un des frères envoyés par François d’Assise en Angleterre, Agnello de Pise. Homme prudent et sage, sa sainteté lui valait le respect et l’amitié des évêques britanniques. Rapidement les frères mineurs devinrent les amis du peuple et les villes du Moyen Age se battaient pour les accueillir. Ils s’installèrent à Bordeaux en 1127 et firent construire leur première église en 1147 sous la houlette de Pierre de Bourdeaux, gentilhomme et bourgeois de la ville.
A Libourne, les cordeliers suivaient la Cour d’Angleterre lorsqu’elle se déplaçait au château de Condat mais n’avait pas encore de lieu propre à leur installation. Le père Raymond Brun du couvent des Cordeliers de Bordeaux avait été choisi pour devenir l’aumônier de la reine au château. Le 20 juin 1287, il posa la pierre fondatrice du Couvent des Frères Mineurs et fut nommé responsable de l’établissement et de ses vingt cordeliers.
Dans la fondation de la communauté des religieux, le roi attacha plusieurs conditions :
- Les réunions et élections municipales (avant la construction de la Maison de Ville).
- La célébration d’une messe tous les trois mois pour le roi et sa famille (où les officiers municipaux étaient invités).
- La célébration d’une messe chaque jeudi pour les commerçants et les gens de mer qui contribuaient à l’entretien du couvent grâce au péage.
- L’obligation pour les Cordeliers, si un navire faisait naufrage, de faire eux-mêmes les recherches des corps et de les inhumer dans l’enceinte de leur couvent.
- L’entretien des jardins du couvent qu’ils devaient laisser libre d’accès aux commerçants et gens de mer. »[3]
Marie-Madeleine dans la mystique franciscaine
Les franciscains vouaient un culte particulier à Marie-Madeleine qu’ils considéraient comme le symbole de la pauvreté, si chère à Saint-François d’Assise. Entre la fin du XIIIème siècle et le début du XIVème siècle, Marie-Madeleine devint le paradigme du repentir dans les œuvres de la lyrique franciscaine et notamment dans les œuvres de Saint Bonaventure qui participa à l’extension de son culte. Ce dernier voyait en elle la personnification des vertus de Charité, d’Humilité et d’Espérance et le modèle de la vie contemplative. Elle était la figure exemplaire à imiter jusqu’au bout dans la recherche du Christ, sur la voie de la repentance.
Marie-Madeleine
Souvent considérée comme la sœur de Marthe et de Lazare, Marie-Madeleine était issue d’une famille distinguée de Béthanie. « Après la mort de ses parents, elle avait reçu en héritage le château de Magdala, en Galilée, d’où lui vint le surnom de Madeleine, et elle y vivait dans le luxe et les plaisirs au point qu’elle devint le scandale de toute la Galilée, et qu’on ne la connut bientôt que sous le nom de la Pécheresse. En punition de ses débordements, elle fut possédée du démon jusqu’au jour où le Christ, lui remettant ses péchés, la délivra. »[4]
A partir de ce jour, Marie-Madeleine devint l’une des plus fidèles disciples de Jésus et peut-être la plus aimante. Elle accompagnait le Christ avec les autres femmes sur les chemins de Galilée mais fut l’une des seules à rester au pied de la Croix avec la Vierge et quelques autres. Au matin de Pâque, elle trouva le tombeau ouvert et vide. Deux anges la réconfortèrent avant que le Christ lui-même ne lui apparaisse.
Elle est le premier témoin de la Résurrection.
Peu de temps après la mort de Jésus, pourchassée par les pharisiens, elle prit la mer avec un petit groupe d’amis pour rejoindre la Gaule dont elle fut l’une des premières évangélisatrices. Elle s’arrêta à la Sainte Baume, où elle vécut en ermite jusqu’à sa mort, dans une ascèse et une pénitence rudes. Les miracles ne tarirent jamais autour de la grotte.
Marie-Madeleine à Libourne
Si le jour de la Sainte Marie-Madeleine fut choisi comme jour d'élections municipales à Libourne par les frères mineurs, ça n’était pas sans relation avec le parcours exemplaire de la pénitente. Elle incarnait pour eux la sanctification modèle d’une âme éprise d’amour pour le Christ. Sa conversion fulgurante représentait le passage angélique de la temporalité au spirituel, de l’immoralité à la moralité, de la mort d’un corps soumis à la loi des hommes à un corps transcendé par la lumière divine. Elle était un modèle pour tous et peut-être le meilleur lien entre les affaires temporelles de la cité représentées par le maire et les jurats et les affaires spirituelles de la ville représentées par les Cordeliers.
Grâce à elle, Libourne était protégée...
La myrophore au pied du Christ, Eglise Saint Jean-Baptiste de Libourne |
Camille Desveaux
[1] En dehors de l’antagonisme franco-anglais certains comtes et seigneurs, voulant conserver leur indépendance, fondèrent à leur compte des villes nouvelles en réaction à la colonisation de ces bastides royales.
[2] C. Desveaux ; Libourne, genèse d’une bastide pour comprendre la ville actuelle, Bordeaux, 2012, 180 pages.
[3] C. Desveaux ; Libourne, genèse d’une bastide.
[4] Abbé L. Viaud, Vie des Saints.